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Les indications géographiques (IG) désignent des produits dont les caractéristiques sont codifiées et attribuées à un savoir-faire spécifique identifié dans un espace géographique délimité. Elles recouvrent les appellations d’origine protégée (AOP) et les indications géographiques protégées (IGP). Quelques-unes des plus célèbres sont : le camembert de Normandie (France), le jambon de Parme (Italie), le fromage Manchego (Espagne), le poivre de Penja (Cameroun), le thé de Darjeeling (Inde) ou encore l’huile d’Arganier (Maroc). Par le caractère traditionnel de leurs modes de production et le lien fort avec leurs territoires, les produits sous IG contribuent à la durabilité du système alimentaire. La durabilité étant désormais une condition d’accès aux marchés, les organisations de producteurs sous IG se sont engagées dans des réflexions pour mettre en avant cette contribution et communiquer sur les stratégies qu’elles mettent en oeuvre pour renforcer ces impacts positifs.
L’Organisation pour un réseau international d’indications géographiques, oriGIn, en collaboration avec la FAO, a construit pour les IG une stratégie de durabilité sur le modèle de la multidimensionnalité du label. Une stratégie spécifique et adaptée au contexte des IG, qui fait l’objet de notre étude et représente une occasion intéressante de questionner la stratégie de durabilité des produits d’origine.
Le modèle de la multicertification en perte de vitesse
Cette stratégie de durabilité permet de répondre au besoin d’assurance de la qualité à la fois implicite et explicite des consommateurs en affichant plusieurs labels. Un exemple est présenté sur la figure 1. La multicertification repose sur un système de contrôle fiable et crédible dont les acteurs sont adoubés par l’État (le système d’accréditation et de certification) et sur un système de communication intégré par les consommateurs (les logos). Le modèle de la certification par tierce partie permet aux IG qui le souhaitent de mettre en avant leurs efforts en matière de durabilité : les organisations de producteurs qui les portent obtiennent pour cela des certifications environnementales et/ou en lien avec des critères socioéconomiques.
– FIGURE 1. IGP THÉ DE DARJEELING AVEC LES LABELS DE L’AGRICULTURE BIOLOGIQUE ET DU COMMERCE ÉQUITABLE
Toutefois, obtenir plusieurs certifications se traduit par des coûts supplémentaires supportés par les organismes de défense et de gestion (ODG)1 : les coûts liés au contrôle, aux changements dus aux exigences des nouveaux cahiers des charges mais aussi le temps de travail supplémentaire que cela implique. « Dans la jungle, on parle bien de jungle des labels… dans laquelle le consommateur est responsable des conséquences de son choix sans avoir les moyens de les assumer » (Guyon, 2024). L’expression « jungle des labels » reprise ici par Jean-Yves Guyon illustre bien la place du consommateur dans cette démarche. Une jungle au sein de laquelle le consommateur est livré à lui-même et se doit de faire les bons choix pour « survivre » dans un environnement devenu trop complexe qu’il ne maîtrise plus. Sa capacité à reconnaître et à interpréter les informations renvoyées par tous ces logos a fortement baissé à la suite de leur multiplication. La capacité du consommateur à « faire le bon choix » est mise à l’épreuve.
D’autres critères peuvent alors l’orienter, comme le prix du produit, la notoriété du label, le logo le plus attractif (les couleurs ou le slogan). Toutefois, la qualité d’un label n’est pas déterminée par sa popularité ou sa charte graphique, mais bien par la pertinence des exigences de son cahier des charges et la rigueur du système de contrôle. Un label renommé peut donc reposer sur un système peu fiable mais être préféré à un autre plus crédible. C’est l’idée que sur un marché il arrive que les « mauvais labels chassent les bons ».
La stratégie de multidimensionnalité de l’origine
Parler de multidimensionnalité d’un label, c’est concevoir qu’un label puisse à lui seul garantir plusieurs dimensions de la qualité. Par exemple, les labels AOP et IGP, qui garantissent l’origine d’un produit et sa typicité parfois associée au caractère traditionnel de son mode de production (qui est une dimension de la qualité), pourraient garantir aussi la protection de la biodiversité, le bien-être animal, la juste répartition des bénéfices le long de la chaîne de valeur, la cohésion sociale… tout ceci en gardant uniquement les labels garantissant l’origine : AOP et IGP (Figure 2).
– FIGURE 2. APPELLATION D’ORIGINE PROTEGÉE ET DIMENSIONS DE LA DURABILITÉ
Cette formule « tout en un » permettant à un label de garantir plusieurs promesses relève d’une démarche de progrès qui laisse l’initiative aux agriculteurs et transformateurs de définir par eux-mêmes les objectifs qu’ils désirent se fixer et le temps pour les atteindre. Il s’agit pour un ODG de mettre en place des actions complémentaires à celles prescrites par le cahier des charges ; ceci sans contrôle supplémentaire obligatoire. La démarche peut déboucher sur la rédaction d’une charte mettant en avant les engagements et impacts des ODG en matière de durabilité. Si la stratégie n’implique pas nécessairement de coûts liés au contrôle pour les ODG, un problème d’assurance de la qualité des actions entreprises et de leur mise en pratique effective se pose. Aussi, faire endosser les garanties environnementales et socioéconomiques par les labels garantissant l’origine permet de réduire le nombre de
logos sur le produit et de sortir de la jungle des labels. Toutefois, la confusion du consommateur est déplacée. Partant d’un trop plein d’informations, il se retrouve avec une information incomplète, car la promesse de « durabilité » ne précise ni la dimension concernée (environnementale ou socioéconomique) ni la performance et l’efficacité des actions. Ceci implique donc la recherche d’informations complémentaires afin d’éviter de tomber dans le piège d’une communication exagérée sur la durabilité.
La stratégie d’oriGIn, en collaboration avec la FAO, vient en réponse aux limites de la multidimensionnalité.
Elle vise le renforcement de la gouvernance par les ODG de la durabilité de leur mode de production en mettant l’accent sur la crédibilité et la communicabilité de la démarche.
Un partenariat cohérent entre oriGIn et la FAO
OriGIn est une organisation non gouvernementale (ONG) basée à Genève. Créée en 2003, elle se présente comme une plateforme collaborative, un espace d’échange d’expérience entre les IG à travers le monde. L’ONG est présente dans quarante pays.
Le rapprochement entre oriGIn et la FAO vient de leur conviction commune concernant la capacité
des IG à participer à la durabilité du système alimentaire. À l’occasion d’un atelier avec la participation
d’experts du monde académique dans le domaine des IG et de la durabilité, de producteurs et associations, de représentants de gouvernements à Genève, il est ressorti que face aux problématiques
de préservation de la biodiversité, des ressources naturelles ou encore d’accès des petits exploitants au marché, les IG ont su se démarquer (oriGIn, 2017). Ceci à travers le maintien de races et variétés végétales spécifiques, une approche inclusive, le développement d’une économie locale, etc.
C’est la démarche de qualité liée à l’origine en elle-même qui confère aux IG un pouvoir d’action sur la durabilité non négligeable. L’approche territoriale caractéristique de cette démarche permet de construire un dialogue entre des acteurs sur un territoire en construisant un narratif commun autour d’un patrimoine, une histoire à laquelle ils s’identifient. Pouvoir renforcer les dynamiques sur un territoire, constituer un
espace de dialogue sont des leviers importants en faveur des changements au sein du système
alimentaire actuel.
Par cette coopération, la FAO veut mettre en avant et renforcer la participation des IG à l’atteinte des objectifs de développement durable (ODD) aux niveaux local (organisation de producteurs) et international (oriGIn).
Une vision commune de la durabilité
Tout commence en 2009 quand le département de la gestion des ressources naturelles et de l’environnement de la FAO et l’Alliance ISEAL2 commencent à coopérer afin de donner un cadre universel pour l’évaluation de la durabilité des systèmes alimentaires et agricoles (SAFA)3.
Le cadre SAFA constitue à la fois des directives, des indicateurs et une boîte à outils permettant d’approcher le concept de durabilité selon quatre piliers :
→ l’intégrité environnementale : assurer l’intégrité des ressources naturelles (l’eau, la biodiversité, les sols, etc.) dont dépend l’activité de production agricole et alimentaire ;
→ le bien-être social : aborder la qualité de vie sous le prisme des droits des travailleurs, de l’égalité des genres, de l’accès à l’éducation et surtout d’une garantie pour la santé par la sureté sanitaire des aliments ;
→ la résilience économique : évaluer la juste répartition de la valeur entre les acteurs de la chaîne alimentaire, l’accès aux financements et capitaux, la capacité à faire face aux risques financiers du marché à travers une diversification du modèle économique ;
→ la bonne gouvernance : assurer un équilibre des forces dans les processus de prise de décision
au sein de la chaîne de valeur, la prise en compte et l’implication des parties prenantes dans les différentes activités engagées.
À chacun de ces piliers sont attachés des indicateurs mesurables et cohérents qui confèrent une transparence et une visibilité sur la méthode d’évaluation pour les parties prenantes. Le cadre SAFA peut en fin de compte être considéré comme une entente universelle sur la définition de la durabilité (FAO, 2013).
Une feuille de route conduite par les producteurs
La stratégie de durabilité de l’origine développée par oriGIn et la FAO est matérialisée au travers d’une feuille de route qui se déploie en trois principales phases (Figure 3) : la priorisation des enjeux de durabilité par les ODG à travers la consultation des parties prenantes pertinentes (favorisant leur engagement dans la démarche), l’évaluation de la situation de base à partir d’indicateurs de durabilité spécifiques aux IG, et l’amélioration des performances.
– FIGURE 3. FEUILLE DE ROUTE DE LA DURABILITÉ DE L’ORIGINE
La première phase dite de priorisation a pour finalité de susciter la prise de conscience par les producteurs des défis en matière de développement durable. Les producteurs participent à la conception de leur feuille de route, définissent les priorités avec les parties prenantes pertinentes de leur activité. Il s’agit des autorités locales, des clients et de tous les autres acteurs de la chaîne de valeur. Sont aussi intégrés des donateurs potentiels et d’autres mécènes sensibles à ce type d’initiative et prompt à les encourager par
le biais des financements directs ou par des dons en matériel.
La deuxième phase permet d’effectuer un état des lieux en matière de pratiques durables au sein de l’ODG. Les producteurs évaluent leurs performances, dégageant ainsi les points positifs de leur activité ainsi que les points à améliorer. Des indicateurs précis et pensés pour le contexte des IG sont mobilisés ici. Ils servent de support à une réflexion collective basée sur la collaboration entre les acteurs impliqués dans la démarche. Les résultats de cette étape offrent une vision globale et éclairée permettant de démontrer la contribution de l’IG au développement durable, mais aussi les leviers à actionner pour maximiser cette
contribution.
Une fois ces éléments obtenus et la réflexion engagée, la troisième phase est celle de l’action. Créer un plan d’amélioration, mettre en œuvre le plan, le suivre et l’évaluer afin d’assurer l’amélioration continue de la feuille de route. Agir dans une logique de pas — grands et petits — sur des priorités qui ne sont pas figées. En effet, les actions pour l’amélioration ainsi que les leviers identifiés à l’étape 2 sont réévaluées de manière périodique afin de rester en phase avec le contexte de production (évolution climatique et impacts environnementaux) et le contexte sociétal, avec des consommateurs de plus en plus exigeants.
Une dernière étape transversale à toutes les autres consiste à rendre compte de l’évolution de la démarche afin de renforcer l’implication des parties prenantes pertinentes et de mettre en avant les résultats.
Un guide fournit les lignes directrices permettant aux organisations de producteurs de mettre en œuvre la feuille de route de manière autonome selon leur contexte de production (oriGIn, 2024). Une boîte à outil et un webinaire sont mis à disposition pour présenter et assurer l’appropriation de la feuille de route par les organisations de producteurs.
OriGIn présente le projet de manifeste pour la durabilité des IG comme une déclaration formelle pouvant être portée et approuvée par toutes les IG à travers le monde. Une déclaration collective mettant en avant les impacts positifs de leur mode de production et de leurs pratiques sur la durabilité du système alimentaire. Par la même occasion, ces IG s’engagent à améliorer ces impacts de manière continue au profit des producteurs, de leurs territoires et des consommateurs.
La construction de ce plaidoyer collectif est fondée sur les principes défendus par oriGIn et partagés par la FAO. Il s’agit de considérer la durabilité comme un chemin et non pas un état, en mettant l’accent sur l’engagement volontaire. Les idées principales sont que toutes les IG, sans distinction de taille, de capacité ou de ressources, doivent pouvoir profiter de cette émulation et surtout qu’il est important de se faire entendre en tenant un discours crédible loin du greenwashing (Vandecandelaere, 2023).
Le positionnement d’alliance mondiale des IG défendu par oriGIn apparaît bien là puisque qu’à travers ce manifeste, l’ONG se pose en tribune pour créer du lien entre des territoires et construire un discours commun. Les IG qui souhaitent rejoindre l’initiative ont accès aux lignes directrices ainsi qu’à une boîte à outils leur permettant de développer une stratégie de durabilité pertinente pour leur contexte de production.
Le manifeste représente aussi une occasion et un outil de communication crédible visant à toucher le public aux échelles internationale, nationale et même locale.
La gouvernance de la durabilité avec un mode de production unique
Les IG sont issues d’une production localisée. Contrairement à l’indication de provenance renseignant sur le lieu de production, la notion d’origine renvoie au lien avec un territoire. La démarche de qualité liée à l’origine est à l’initiative de producteurs qui, par différentes formes de liens (histoire, patrimoine, savoir-faire, etc.), ont construit un mode de coordination mettant en avant l’ancrage avec leur territoire. Ils maîtrisent donc la gouvernance de leur mode de production et prennent l’initiative de manière collective et volontaire de définir des conditions strictes de production, parfois soumises au contrôle de l’État. En France, la gouvernance des indications géographiques est assurée par l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), à travers des comités nationaux constitués de producteurs. L’institut a notamment engagé des réflexions sur les conditions de production en amont des AOP vis-à-vis des attentes sociétales et de la durabilité (CNAOP, 2023) et participé à l’élaboration de la feuille de route proposée par oriGIn et la FAO. Les ODG y adhèrent de manière volontaire, la mettent en oeuvre de manière autonome, en mettant l’accent sur leur priorité, sur leur contexte de production ainsi que sur la définition d’objectifs cohérents avec les moyens dont ils disposent. Avec cette feuille de route, les producteurs gardent donc le contrôle de la réponse à donner
aux attentes sociétales en matière de durabilité. Les mots d’ordre ici sont donc : collectif, volontaire et territoire.
Mobiliser, impliquer et intéresser les ODG
La stratégie de durabilité des IG conçue et proposée par oriGIn et la FAO implique l’adhésion d’un grand nombre d’IG à travers le monde. Sur les leviers à mettre en place pour susciter l’intérêt des organisations de producteurs, trois axes sont évoqués par oriGIn et la FAO. Dans le champ de la motivation extrinsèque, on retrouve les attentes des consommateurs en matière de produits durables et l’accès au marché (conditionné par la preuve de durabilité). La motivation intrinsèque repose quant à elle sur la nécessité d’assurer la pérennité des exploitations par la préservation des caractéristiques spécifiques de leurs territoires (conditions climatiques, biodiversité, cohésion sociale). En plus de ces éléments, oriGIn met
aussi en avant l’entraide et le partage d’expérience entre organisations de producteurs, rendus possibles par sa constitution en plateforme pour les IG à travers le monde. Les organisations de producteurs ayant mis en œuvre la feuille de route dans leur contexte pourront à travers ori-GIn faire un retour d’expérience sur la démarche en mettant en avant les astuces et points de vigilance. C’est le cas du fromage Paipa de Colombie et du café de Marcala au Honduras qui ont mis en œuvre la feuille de route dans le cadre de tests. Toutefois, la question de la démocratisation de cette feuille de route reste en suspens car toutes les IG ne sont pas égales sur le plan des moyens mobilisables (humains et financiers) et des aptitudes à communiquer vers des parties prenantes pertinentes.
Le dilemme du passager clandestin
La communication est une étape transversale et clé dans la stratégie de durabilité des IG. Elle est mise en œuvre par chaque organisation de producteurs sous IG engagé dans la démarche et est pensée de telle sorte qu’à travers un manifeste, les IG puissent exprimer leur participation à la durabilité du système alimentaire. Le « problème du passager clandestin » tel que présenté par Mancur Olson dans son livre The Logic of Collective Action (1971), survient lorsqu’un membre d’un groupe profite des retombées de l’action collective sans avoir pour autant fourni d’effort ou même tout simplement participé. Le caractère collectif de la démarche des IG fait qu’il est alors possible de rencontrer le même cas de figure, à savoir des IG qui profiteraient des retombées du manifeste sur la durabilité sans avoir mis en œuvre la feuille de route et sans même avoir engagé des réflexions sur la durabilité de leurs exploitations. Ces passagers clandestins pourraient donc bénéficier du travail des IG réellement durables, et remettre en question la crédibilité de
l’ensemble de la démarche. Il apparaît primordial de penser une stratégie afin de gérer ce cas de figure.
Quid du rapprochement des labels
Les signes d’identification de la qualité et de l’origine (SIQO)4 représentent des dimensions spécifiques de la qualité : la qualité supérieure pour le label rouge, environnementale pour le label AB, patrimoniale pour les IG. Ils reposent sur des promesses et messages différents qui orientent le consommateur dans son acte d’achat. Avec la multidimensionnalité, les signes de qualité se retrouvent sur des positionnements similaires.
« Avant, le label environnemental était le label agriculture biologique (AB), maintenant tous les SIQO intègrent un peu de bonnes pratiques environnementales […], même le label rouge veut se verdir à bon compte » (Guyon, 2024). Les IG (AOP et IGP) dépassent maintenant souvent le cadre de la qualité patrimoniale pour revendiquer une qualité environnementale. Il en est de même pour le label rouge, qui se veut aussi (volontairement ou par la perception des consommateurs) plus vertueux sur le plan environnemental. Le verdissement des différents labels remet en question la pertinence même du label AB, mais aussi de tous les autres labels qui garantissent une performance environnementale comme Demeter,
Nature et progrès ou encore haute valeur environnementale (HVE). Le même cas de figure peut être retrouvé sur les labels mettant en avant une dimension éthique (commerce équitable). On pourrait voir disparaître Fairtrade International ou encore Fair for life si la logique d’équité est partout remplacée (ce qui est cependant loin d’être le cas actuellement). La stratégie de différenciation mise en avant par ces labels n’a plus rien de spécifique si elle devient commune à tous les autres. L’hypothèse d’une appellation d’origine durable (AOD) (Raffray, 2023) pouvant être étirée à une indication géographique durable (IGD) repose sur
l’idée qu’après avoir été « simple, contrôlée puis protégée », la prochaine étape de l’indication d’origine consisterait à « afficher sa durabilité ». Nouvelles garanties, nouvelles exigences et donc « nouveau signe », nouveau label affichant la durabilité de l’origine.
La normalisation de la durabilité
L’engagement des IG à prendre en compte les dimensions environnementales et socioéconomiques se fait aujourd’hui sur la base du volontariat. Toutefois, avec l’évolution du cadre législatif autour des questions de durabilité, ce qui relevait de l’implication volontaire tend à reposer sur des règlementations. La question de la contrôlabilité et de la fiabilité des nouvelles exigences se pose alors. Le consommateur lui est toujours en
quête de transparence. Il a besoin d’être assuré de la qualité de son alimentation. La stratégie de durabilité des IG, afin d’être cohérente avec les réalités sociétales et légales (actuelles et futures), doit prendre en compte ces aspects. La solution avancée par les organisations de producteurs à travers l’INAO est de transformer les efforts de durabilité en exigences et de les intégrer dans les cahiers des charges afin qu’elles soient contrôlables au même titre que les autres exigences. Toutefois, le comité économique et social de l’Union européenne (CESE) souligne le caractère « chronophage » et « ardu » de la procédure ; une critique aussi faite par les ODG. Aussi, certaines actions engagées par des ODG ne conduisent pas
nécessairement à la modification de dispositions dans les cahiers des charges. Elles sont donc très souvent en dehors et peuvent servir d’arguments pour renforcer un positionnement sur le marché.
Le CESE a sur cette question préconisé un dispositif ad hoc permettant aux ODG de mettre en avant leurs engagements en matière de durabilité. Il pourrait s’agir de construire une charte de durabilité ou de bâtir une stratégie de communication/marketing reposant sur des actions ou des campagnes de valorisation des impacts sur la durabilité. Afin de répondre aux besoins de transparence des consommateurs, cette deuxième option gagnerait à être encadrée par un dispositif de contrôle fiable comme celui sur le reporting
en matière de durabilité5. La liberté est pour le moment laissée aux ODG par le Parlement européen d’opter pour une voie ou une autre selon les moyens à leur disposition.
Le projet de manifeste mondial des IG mettant en avant les stratégies de durabilité constitue une réponse aux attentes émanant des consommateurs et de la société en général. En misant sur une vision commune des dimensions de la durabilité (cadre SAFA), oriGIn et la FAO étendent le champ d’action de l’origine, permettant aux AOP et IGP de garantir, en plus du lien au terroir, une performance environnementale et socioéconomique. La feuille de route issue de cette stratégie permet aux organisations de producteurs sous IG de conserver la gouvernance de la durabilité de leur mode de production. Si de manière générale les sujets de durabilité (biodiversité, bien-être animal) sont renvoyés vers les producteurs, qui doivent y répondre, cette feuille de route leur permet de reprendre le contrôle de leur engagement vers la durabilité de leurs exploitations.
La construction du manifeste mondial des indications géographiques dépend tout de même du potentiel de diffusion de la feuille de route. Plus les organisations de producteurs seront motivées et nombreuses, plus vite le projet aboutira. Les deux stratégies de durabilité des IG que sont la multidimensionnalité et la multicertification présentent des spécificités et des limites qu’il convient de mettre en relation avec les réalités d’un contexte et le besoin de transparence du consommateur. Être engagé dans l’une ou l’autre de ces stratégies ne soustrait pas aux exigences de crédibilité et de communicabilité propres à toute démarche qualité.
En définitive, il apparaît que la construction de la durabilité de l’origine tout comme de sa qualité repose sur l’action collective au sein des ODG par les producteurs eux-mêmes.