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Dans les discours sur la transition alimentaire et l’empowerment [1] en réponse aux problématiques de notre siècle, on entend peu parler de la place de l’adolescent•e. Les actions du réseau Marguerite nous montrent pourtant que la jeune génération, avec l’accompagne-ment de l’Éducation nationale, peut jouer un rôle moteur. L’association « Réseau Marguerite, cultivons ensemble un monde plus juste ! » existe depuis 2019. Elle est le fruit d’un travail engagé depuis six ans dans des collèges autour de Lyon. Elle rassemble une quinzaine d’établissements du secondaire portant des projets d’éducation agri-alimentaire [2] : une démarche innovante pour sensibiliser les adolescent•e•s au lien entre l’agriculture et leur alimentation. Chaque projet propose un parcours interdisciplinaire et contextualisé, permettant aux élèves de prendre conscience de leur environnement alimentaire et d’agir concrètement sur leur territoire.
La justice alimentaire à la source du projet
Un retour en arrière s’impose pour comprendre et dessiner les contours de cette initiative. En 2013, les chercheures Julie Le Gall et Camille Hochedez se questionnent sur l’accès aux produits de proximité : « Dans un contexte d’émergence et de juxtaposition spatiale de systèmes alimentaires à deux vitesses, quels facteurs influencent les connexions ou déconnexions entre espaces agricoles et certains secteurs urbains (“Suds du Nord”) ? » (Le Gall et Hochedez, 2015). Le terrain de recherche de Julie Le Gall : le quartier des Minguettes à Venissieux en banlieue lyonnaise, un quartier prioritaire de la politique de la ville, lui permet d’observer une situation de désert alimentaire [3] et de déconnexion avec les espaces agricoles environnants pourtant très proches. Elle cherche à expliquer l’influence des représentations des habitant•e•s issu•e•s des quartiers défavorisés dans leur déconnexion avec l’agriculture et la situation d’injustice alimentaire.
Exploitant le cadre conceptuel de la justice agri-alimentaire, elle émet l’hypothèse que c’est en travaillant à l’éducation et la sensibilisation des jeunes en milieu scolaire que l’on peut leur « faire prendre conscience » et les former à être de futur•e•s acteur•rice•s et demandeur•se•s de justice sociale. À partir de cette hypothèse, partagée par Myriam Laval, enseignante en histoire-géographie au collège Elsa Triolet de Venissieux et qui co-construit le projet, le dispositif Marguerite est créé : un dispositif pédagogique innovant pour susciter un regard critique chez l’adolescent•e sur les systèmes alimentaires. Opposées à l’idée de transmission top-down, les porteuses du projet estiment qu’il faut repenser la façon d’aborder l’alimentation à l’école. Cette institution, qui concerne tous les jeunes quelle que soit leur situation sociale, permet de reconstruire le lien entre individu et environnement alimentaire quotidien, pour prendre conscience des formes d’injustices alimentaires et, de là, revendiquer ou promouvoir, dans la famille et autour, plus de justice alimentaire (Encadré 1).
ENCADRÉ 1 : QU’EST-CE QUE LA JUSTICE ALIMENTAIRE ?
Ce concept, dans la continuité des travaux sur la justice sociale, émerge du food justice movement aux États-Unis et consiste en « un partage équitable des bénéfices et des risques concernant les lieux, les produits et la façon dont la nourriture est produite et transformée, transportée et distribuée, et accessible et mangée » (Gottlieb et Joshi, 2010). Ce concept est utilisé, selon les auteurs•rice•s, comme un cadre théorique, un outil politique, une revendication.Dans l’approche de Julie Le Gall et Camille Hochedez, la notion est approfondie en plaçant les relations avec l’agriculture au cœur de la définition : « La justice agri-alimentaire est un processus qui reconnecte l’ensemble des actions, espaces, acteurs parties prenantes des systèmes alimentaires afin de les rendre plus inclusifs, du champ à l’estomac, et au niveau de toutes les composantes du système » (Hochedez et Le Gall, 2016).
Un dispositif pédagogique novateur par ses méthodes
La démarche pédagogique est la partie « action » du dispositif de recherche-action Marguerite. Étant le fruit d’une construction entre chercheurs et enseignants du secondaire, un partenariat encore aujourd’hui peu observé, elle s’avère novatrice. Elle consiste à proposer aux élèves des ateliers thématiques, permettant à la fois de capter leurs connaissances sur l’agriculture, les représentations qu’ils/elles se font de leur environnement alimentaire et de faire évoluer leurs pratiques en matière d’alimentation et de rapport à l’agriculture. Des outils de recherche, tels que la construction de cartes mentales par les élèves permettant de décrire leur environnement alimentaire, deviennent des outils de diagnostic au démarrage du projet et les enseignant•e•s se les approprient pour leur intérêt pédagogique. Les ateliers alternent moments théoriques, pratiques et ludiques, rencontres avec des acteur•rice•s du monde agricole et alimentaire et s’inscrivent dans le travail d’acquisition de compétences scolaires de niveau cinquième, principalement en géographie et sciences de la vie et de la terre (SVT).
Ce dispositif est encourageant : la réception par les élèves et leur implication dans l’action sont évidents. Le format des séances, souvent animées par des intervenants extérieurs, fondées sur la discussion, diffère des cours traditionnels. En réponse aux problématiques alimentaires spécifiques de leur territoire que découvrent les élèves, des petits projets sont montés et les adolescent•e•s eux-mêmes deviennent sources d’initiative. Cette phase exploratoire s’étale sur deux ans, et les porteurs du projet souhaitent pouvoir trans-poser leur démarche à d’autres établissements, confrontés à des contextes sociaux et agricoles différents.
Un partenariat institutionnel innovant
Initié en 2013, le projet de recherche-action est porté financièrement par l’École normale supérieure (ENS) de Lyon et le laboratoire Environnement Ville Société (EVS). Très vite, l’Ins-titut français de l’éducation (IFE) apporte son soutien et co-construit la démarche pédagogique. Il faut noter que le premier financement, permet-tant l’émancipation du projet hors du terrain de la recherche, a été apporté par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation via le programme national pour l’alimentation (PNA) de 2016. Ce PNA traduit le projet de politique alimentaire national. Il finance, sur deux ans, la concrétisation d’un kit complet : pédagogique pour les élèves, de formation pour les enseignant•e•s, et de recherche. Huit nouveaux établissements, près de Lyon et dans l’Ain, intègrent la démarche et enrichissent ce kit. Le tissu associatif, sollicité localement par les enseignants, devient également un partenaire durable et intervient plus ou moins régulièrement dans les classes. La Métropole de Lyon reconnaît la démarche en 2017 et apporte un soutien financier considérable, ce qui en fait un partenaire institutionnel et politique important. C’est pour elle l’occasion de mettre en avant sa politique locale et sa stratégie alimentaire. En effet, la Métropole de Lyon a pour particularité de porter un plan d’éducation au développement durable (PEDD). Ce plan représente le volet éducatif des politiques publiques, allant au-delà de l’aspect technique des compétences (approvisionnement des cantines des collèges par exemple), et finance plusieurs associations et projets allant en ce sens.
À cette reconnaissance politique s’ajoute la reconnaissance de l’académie de Lyon. Sa cellule « éducation au développement durable (EDD) » participe à la diffusion des actions du réseau. Plus récemment, le pôle « Délégation, Formation, Innovation, Expérimentation (DFIE) », service d’accompagnement des projets innovants de l’académie, soutient les établissements pour la construction du projet et son évaluation.
Devenu association loi 1901, le réseau Marguerite est de nouveau lauréat du PNA en 2019, dans la catégorie « essaimage », témoignant de sa volonté de s’étendre à d’autres territoires français. Le monde de la recherche et des universités reste associé à cette démarche éducative. Les universitaires y participent soit en élaborant des dispositifs de collecte de données avec le réseau, soit en intervenant directement dans des séances. Ces partenaires institutionnels accroissent la visibilité du réseau, reconnu comme une entité répondant à des enjeux pédagogiques, scientifiques et territoriaux.
La démarche de projet est guidée par plusieurs principes partagés par tous qui justifient des étapes d’organisation suivant la même logique dans tous les établissements, mais qui restent soumis à l’initiative de chaque équipe enseignante. Pour illustrer la progression de la démarche, l’image de la marguerite a été choisie (Figure 1).
Faire du lien, décloisonner les savoirs en pensant l’alimentation comme un système
Le premier principe de la démarche est de proposer un fil conducteur entre les différents savoirs à acquérir définis dans les programmes. Il s’agit, pour les enseignant•e•s, de sortir des automatismes : faire le lien entre leurs chapitres, travailler parfois en co-animation, afin de donner plus de sens aux enseignements dans une approche systémique de l’alimentation. Toutes les disciplines sont mobilisables : sciences, technologies, histoire-géographie, éducation civique, mathématiques, français, langues vivantes, arts plastiques. Elles sont autant de voie d’entrée différentes imaginables, du champ à l’estomac. Une relation structurée entre enseignant•e•s doit permettre de construire un parcours progressif et contextualisé autour des grands thèmes, ceux indiqués dans les pétales de la marguerite (Figure 1) :
→ Production : les ressources nécessaires pour produire, l’agriculture comme écosystème géré par l’humanité pour s’approvisionner ;
→ Nutrition et santé : les habitudes alimentaires et leurs conséquences sur la santé ;
→ Commercialisation : du producteur au consommateur ;
→ Justice alimentaire : de la solidarité à la réduction des inégalités.
On peut déjà noter une approche différente de celle longtemps proposée par les Programmes nationaux nutrition santé (PNNS), centrés sur une éducation nutritionnelle, loin de prendre en considération tous les enjeux de l’alimentation. La démarche propose de penser la complexité avec les adolescent•e•s, au-delà des injonctions nutritionnelles.
Se servir de l’expérience individuelle des adolescent•e•s en partant de leur environnement alimentaire
Afin de favoriser son implication et son autonomisation, la démarche place l’adolescent•e au cœur du projet : partir de ses savoirs initiaux, puis le/la faire se questionner sur son alimentation, sur l’agriculture, lui proposer des outils de réflexivité et de mise en dialogue dans la classe. Cette démarche entraîne de fait un changement de posture de l’enseignant•e, l’invitant à se placer parmi les élèves, et à réfléchir avec eux/elles aux problématiques abordées. Ceci est symbolisé par la gouvernance du projet, placée au cœur de la marguerite (Figure 1). À travers la prise en compte des contextes (urbain, rural, périurbain) et de l’environnement alimentaire (familial, du quartier) des adolescent•e•s, il s’agit de susciter une mise en débat sur ce qu’il est ou non souhaitable et possible de faire par rapport à son alimentation et sa santé, et pourquoi (Revel, 2017). Une fois de plus, il n’y a pas la volonté de recommander ou de proscrire tel ou tel comportement mais de développer l’esprit critique et d’apporter des clés de raisonnement aux élèves par rapport à leurs habitudes alimentaires.
Tisser son réseau et agir sur son territoire
Prendre en compte le contexte dans lequel évoluent les adolescent•e•s, c’est leur permettre de travailler à partir de problématiques concrètes du territoire. Cet aspect est figuré par le terreau dans lequel grandit le projet Marguerite (Figure 1). Le premier pas consiste à sortir de la bulle de la classe : construire un jardin potager, rencontrer les acteur•rice•s de sa cantine scolaire, les personnels de santé, discuter d’alimentation dans son cercle familial. Puis le second pas consiste à sortir du collège : faire venir des agriculteur•rice•s, des associations locales d’aide alimentaire, mais aussi se déplacer sur les marchés, dans les lycées professionnels environnants, etc.
Ces rencontres, mais aussi les séances en classe, permettent aux élèves d’identifier les réalités sociales, économiques, géographiques, physiques de l’accès à l’alimentation dans leur collège, leur quartier ou leur ville. De ces réalités découlent des actions ancrées localement qui ont du sens pour les collégien•ne•s, ce qui permet d’envisager concrètement la possibilité d’un changement de pratique.
Suivant le principe de rendre l’adolescent•e acteur•rice, le fait de communiquer sur les pro-jets, faire appel à la presse locale par exemple, ou de solliciter les collectivités locales est fortement encouragé. En effet, cela participe à la valorisation des enseignant•e•s et des collégien•ne•s, en faisant évoluer le regard des habitant•e•s sur ce qui se passe dans le collège. De plus, les collectives locales ainsi que les associations apportent un regard éclairé sur les problématiques du territoire. Ainsi, et au cours du temps, le projet va pouvoir s’inscrire dans des démarches de territoire : objectifs de développement durable (ODD) établis par les Nations unies, le plan climat, la politique locale, etc. Finalement, chaque établissement construit son propre réseau, ancré sur le territoire des adolescent•e•s, pour répondre directement aux problématiques sociales locales par l’intermédiaire de la question agricole et alimentaire.
Le congrès Marguerite : un évènement qui fait grandir le réseau, et l’adolescent•e
Le congrès Marguerite a lieu chaque année depuis 2017. C’est l’évènement qui clôture l’année scolaire et qui rassemble les différents établissements participants, permettant aux élèves et enseignant•e•s de présenter leurs travaux respectifs à l’ensemble du réseau et à d’autres acteurs présents (collectivités, territoriales, associations, académie, etc.). Il permet ainsi au réseau de se fédérer tout en étant un facteur supplémentaire de motivation pour les élèves. Cet évènement leur permet d’aller « au bout du projet » et de travailler de nouvelles compétences, telles que l’expression devant une grande assemblée, ceci dans un cadre privilégié participant à renforcer l’estime de soi. La journée se déroule dans un lieu d’exception (amphithéâtre, ENS de Lyon) et a pour format celui d’un congrès scientifique : prise de parole des partenaires institutionnels, conférence d’un•e chercheur•e, ateliers pratiques et ludiques et enfin présentation de chaque projet aux participant•e•s. Cette journée est donc un moment de restitution et un lieu d’échanges et de rencontre entre les partenaires et membres du réseau. Elle se termine par la remise des marguerites d’or, un prix symbolique récompensant les élèves devenus porteurs de projets citoyens et innovants sur leur territoire.
Il y a un réel intérêt pour la démarche et ce dispositif innovant de la part d’une diversité d’acteurs, avec la conviction que les actions qui y sont réalisées renforceront la place de l’adolescent•e dans son environnement alimentaire et sur le territoire. Néanmoins, la pluralité de ses ambitions et la diversité des actions que le projet prévoit de proposer posent des questions et présentent des limites.
La question de l’évaluation des impacts du dispositif sur les comportements alimentaires
Un point important, non évoqué jusqu’à présent, est l’évaluation des impacts de ce dispositif. Cette question n’a pour autant pas été négligée par les fondateur•rice•s du dispositif. Myriam Laval nous explique que la réussite du projet s’évalue selon trois échelles : celle de l’élève, celle du collège et celle du territoire. Concernant la réussite de l’élève, il s’agit principalement d’évaluer ses connaissances sur l’agriculture et sur son territoire. Mais ce genre d’évaluation ne peut se faire qu’entre le début et la fin du projet ; c’est-à-dire sur une année scolaire seulement. De plus, on ne parle pas de changement comportemental au sein du milieu familial, c’est un espace privé qui n’a pas à être évalué par les enseignant•e•s. Ainsi, la capacité d’évaluer les impacts, à court ou long terme, sur les comportements alimentaires des jeunes reste très limitée. L’évaluation est faite, parfois, par des étudiant•e•s ou des chercheur•e•s ayant mis en place un protocole particulier, qui n’est pas encore reproductible par les enseignant•e•s.
Cependant, la réussite des élèves sur de nombreux autres points se voit et se partage. Ils/elles apprennent à faire des choix, des compromis. Les enseignant•e•s témoignent du climat scolaire amélioré, de l’inclusion et de la coopération dont font preuve les adolescent•e•s. Le travail en équipe permet de mettre les élèves en condition de réussite tout en restaurant des relations inter-personnelles apaisées.
Un autre volet non quantifiable de ce projet est le niveau de sensibilisation atteint, c’est-à-dire à quel point l’élève s’approprie les enjeux abordés et développe sa capacité à agir. Les porteur•se•s du projet traduisent cette idée ainsi : leur objectif est de « toucher » les élèves, de planter des graines durant l’année scolaire pour des répercussions futures et globales.
Ces aspects difficilement évaluables doivent être pris en considération pour soutenir l’essai-mage de la démarche. La figure 2 résume l’ensemble des impacts attendus de cette démarche d’éducation agri-alimentaire.
L’ambition du projet : des dimensions variables en fonction des motivations des enseignant•e•s
L’expérience montre que la progression et la réussite d’une telle démarche dépendent de la mobilisation de l’équipe enseignante. C’est pourquoi les moments de formation et de regroupement entre professeur•e•s se font normalement deux fois par an. Ces moments rares sont l’occasion de :
→ communiquer sur l’essence même de la démarche, autour d’ambitions communes pédagogiques, scientifiques, territoriales,
→ donner des outils et des consignes précises, par exemple concernant le diagnostic de territoire à faire en début d’année par les enseignant•e•s,
→ mettre à niveau certaines connaissances grâce à la présence de chercheur•e•s et co-construire de nouveaux dispositifs de collecte de données,
→ se réserver du temps pour élaborer, entre équipes enseignantes, la démarche du projet de chaque collège.
Ainsi, on perçoit rapidement les besoins multiples des enseignant•e•s, parfois difficiles à combler. Au-delà de leurs besoins en formation et en accompagnement, les motivations des enseignant•e•s induisent des ambitions différenciées. Parmi les motivations citées, notons l’importance de l’alimentation comme enjeu contemporain, la volonté de faire travailler les élèves en situation de projet, l’opportunité de travailler en partenariat avec la recherche, la réaffirmation du rôle de l’école et le désir de militer pour plus de justice sociale et alimentaire.
Les porteur•se•s des projets initiaux incarnent l’ensemble de ces motivations. On constate ainsi que le collège Elsa Triolet porte chaque année un projet plus ambitieux, réussit à élargir l’équipe enseignante motivée ainsi que le nombre d’élèves impactés par le projet, et continue d’alimenter le réseau en ressources. Cet essor n’est pas aussi tangible dans tous les établissements, qui proposent parfois des projets plus classiques, ne mobilisent pas les outils mis à disposition, ou ont besoin de réorganiser leur équipe.
Globalement, l’équipe doit être suffisamment motivée, soudée et organisée pour gérer le temps supplémentaire qu’imposent la réalisation de la démarche, les dossiers à remplir, les partenaires à contacter. Or, l’engagement de chacun est volontaire et en grande partie bénévole, et s’ajoute à la gestion quotidienne des classes. Le soutien de la direction du collège est donc aussi un facteur important pour porter l’ambition des projets. Cet engagement variable des enseignants est une limite évidente.
Julie Le Gall, actuellement en détachement temporaire dans un laboratoire au Mexique (Centro de Estudios Mexicanos y Centroamericanos, CEMCA), poursuit cette démarche d’éducation agri-alimentaire dans plusieurs pays d’Amérique latine, où cette limite se retrouve.
L’environnement institutionnel : une force ou un frein ?
Faire partie du réseau Marguerite et de sa démarche peut fournir une notoriété et une visibilité auprès de multiples partenaires, ce qui donne confiance aux enseignant•e•s en leurs pratiques pédagogiques et les encourage à innover en sortant de la simple sphère de l’établissement.
Cependant, le déploiement et le fonctionnement d’un projet aussi large, tant par le nombre d’acteur•rice•s impliqué•e•s que par leur nature diverse, nécessite une force coordinatrice et un budget considérable. Or, le dispositif a souvent évolué en saisissant les opportunités pour répondre aux appels à projets suivant les critères et leviers d’action des différents financeurs.
La création de l’association loi 1901 en 2019 permet au réseau d’embaucher une employée à mi-temps, qui dépasse bien souvent son temps supposé de travail. Elle est, entre autres, chargée de trouver des financements plus pérennes, d’être un relai au sein du réseau, d’améliorer le site Internet et d’identifier les contacts pour essaimer la démarche vers d’autres territoires français. Son travail est donc indispensable pour alléger celui des enseignants et permettre l’autonomie du réseau.
L’académie de Lyon a été plusieurs fois sollicitée pour des demandes de décharge horaire des enseignants mais n’a jamais répondu favorablement.
En ce qui concerne la volonté d’essaimage, l’amplitude du réseau qu’ont réussi à construire les acteur•rice•s n’est pas évidente à reproduire ailleurs. En effet, le projet demande en premier lieu des financements, et donc des collectivités locales prêtes à soutenir des démarches éducatives innovantes. Par exemple, la Métropole de Montpellier semble allouer d’importants moyens au déploiement technique de sa politique agroécologique et alimentaire, notamment dans les collèges, mais ne développe pas de volet éducatif qui correspondrait pourtant à son ambition politique. De plus, les zones dans lesquelles sont déjà implantées des associations ayant l’habitude de travailler avec les établissements peuvent ne pas voir la nécessité ou l’opportunité d’intégrer ou de reproduire ce réseau.
Enfin, l’investissement de la recherche dans le projet peut apparaître comme un frein, autant pour des enseignant•e•s qui ne seraient pas intéressé•e•s par ce partenariat que pour la pérennité d’une démarche entreprise dans des secteurs plus pauvres en universités ou moins intéressés.
Initialement conçue comme un projet exploratoire, la démarche pédagogique décrite est aujourd’hui clairement interdisciplinaire, ancrée dans son territoire et reconnue par les collectivités locales et le milieu associatif. Innovante par les liens qu’elle a su tisser entre plusieurs mondes, tels que la recherche, l’éducation scolaire, l’agriculture, les politiques publiques, elle continue d’être vectrice d’innovations inattendues. Celles-ci n’ont pas lieu uniquement dans le domaine alimentaire et ne sont pas strictement limitées aux relations enseignants-ado-parents mais sont pluri-institutionnelles et multidisciplinaires :
→ articulation de champs de savoir au collège autrement que par les programmes ;
→ collaboration entre enseignant•e•s pour une société plus inclusive ;
→ implication d’acteur•rice•s nouveaux•elles pour des prismes de lecture inédits : artistique, journalistique, etc.
Cet ensemble participe à affirmer l’école en tant qu’actrice du territoire et facilitatrice de transitions. De multiples analyses pourraient encore être faites sur cette démarche tant elle est multidimensionnelle. Notamment, on peut penser cette initiative comme la construction de nouveaux éléments de citoyenneté permettant d’aspirer à une sécurisation alimentaire qui :
→ remet les personnes au cœur de la démarche,
→ pense système alimentaire et ne traite pas séparément les quatre éléments (production, transformation, commercialisation, consommation),
→ met l’accent sur les conditions d’accès.
Cette manière de penser l’apprentissage de la solidarité alimentaire et de la gouvernance des territoires dans une pluralité d’approches résonne particulièrement dans le cadre de la démocratie alimentaire (Paturel, 2019).
Auteure : Claire Lambert