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Au cours des dernières années, l’intérêt porté aux espaces agricoles périurbains n’a cessé de croître. À travers le prisme de la multifonctionnalité de l’agriculture, nous verrons comment ces espaces sont pris en compte dans l’aménagement urbain et comment ils peuvent répondre à la demande d’espaces de nature en ville tout en conciliant une fonction nourricière. L’exemple de la requalification du site de la plaine des Quinze sols à Blagnac présente quelques outils à disposition des décideurs pour protéger ces espaces ainsi que les défis à relever pour réorganiser la zone et en faire un espace multifonctionnel.
L’espace agricole périurbain, coupure verte de l’urbanisation et espace productif proche du bassin de consommation
La présence de nature à proximité des villes est un « aspect essentiel de l’urbanité contemporaine » (Bertrand et al., 2006). Pour répondre à cette demande de nature en ville, les municipalités ont intégré des espaces verts dans les zones urbaines, comme des jardins publics, des parcs, des promenades, etc. Puis, on a vu s’étaler les villes et apparaître les « villes-campagnes » (Donadieu et al., 2003), ces zones périurbaines où des habitants ont choisi un contexte rural pour vivre en citadin et où l’agriculture devient une composante majeure de la « nature ». Petit à petit, la demande s’est portée sur des espaces naturels plus vastes. La présence d’espaces agricoles préservés en bordure des villes permet de conserver des espaces de « campagne » appréciés des urbains. L’espace agricole périurbain peut aussi constituer un « espace ouvert à tous. [Il] prolonge, en périphérie de la ville, le réseau urbain des parcs et jardins publics et, plus généralement, des réseaux et corridors verts » (Donadieu et al., 2003).
Selon l’enquête Teruti sur l’occupation et l’utilisation du territoire publiée en avril 2021 par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, nous avons perdu 2,4 millions d’hectares de terre agricoles entre 1982 et 2018 (Ballet, 2021). L’enjeu autour de la protection du foncier agricole est donc majeur, notamment dans les zones périurbaines qui sont menacées par l’expansion de l’urbanisation. Or, les espaces agricoles en bordure des villes sont essentiels car ils permettent de produire une partie de notre alimentation à proximité du bassin de consommation. Ces espaces contribuent alors à recréer des proximités spatiales entre les lieux de production et de consommation. Ils recréent également des liens cognitifs en permettant de retrouver des savoirs sur l’origine et les modes de production de nos aliments. Enfin, ils permettent de mettre en place des circuits courts de proximité et recréent ainsi des proximités économiques à travers la réduction du nombre d’intermédiaires entre les producteurs et les mangeurs.
Vers une agriculture multifonctionnelle
En 1999, la nouvelle loi d’orientation agricole française reconnaît la multifonctionnalité de l’agriculture. Cette notion peut être définie comme « l’ensemble des contributions de l’agriculture à un développement économique et social considéré dans son unité » (Laurent, 1999). Elle inclue « la production, la sécurité alimentaire (garantie de la qualité des produits, de la traçabilité et du maintien d’un potentiel productif), l’entretien du territoire (préservation de caractéristiques paysagères et du cadre de vie), protection de l’environnement, sauvegarde d’un capital culturel, maintien d’un tissu économique et social rural par la diversification des activités (agrotourisme) » (Blanchemanche et al., 2000). La multifonctionnalité de l’agriculture implique la présence d’une diversité d’usages et d’usagers qui doivent coexister. Les pouvoirs publics ont donc un rôle à jouer pour réguler et organiser cette coexistence, notamment à travers l’aménagement du territoire et la définition des usages et des rôles de l’espace périurbain multifonctionnel.
« Agriculture » et « ville », « ruralité » et « urbanité » : ces notions peuvent-elles cesser de s’opposer et, au contraire, peuvent-elles s’entremêler pour construire des villes plus durables ? À travers le réaménagement de la plaine maraîchère des Quinze Sols à Blagnac, nous verrons quels sont les enjeux pour un espace agricole périurbain multifonctionnel.
Un espace périurbain de la métropole toulousaine chargé d’histoire
Il s’agit d’une plaine de 135 hectares située entre la Garonne et le centre urbain de Blagnac, à proximité de Toulouse. L’histoire maraîchère de cet espace remonte à l’après Révolution française, en 1791, quand la commune de Blagnac a vendu aux habitants de fines parcelles de terre à cultiver pour la somme de quinze « sous » ou « sols ». C’est ce qui a donné le nom à la plaine et ce qui explique son grand morcellement (Figure 1).
Avant 1965, il y avait plus d’une centaine de maraîchers sur la plaine et on pouvait observer une forte entraide et des liens de solidarité entre les paysans. Puis, au début des années 1980, les grandes cultures se développent et remplacent le maraîchage. En parallèle, dès les années 1970, la ville de Blagnac connaît une forte urbanisation. Dans ce contexte, certains propriétaires ne cultivent plus la terre mais gardent leur parcelle dans l’espoir qu’elle devienne constructible et prenne de la valeur. En conséquence, autour des années 1990, les champs de blé, de tournesol et de maïs sont progressivement abandonnés. L’espace se déstructure et les friches gagnent du terrain. À la fin des années 1990, la plaine est en situation de déprise agricole et ne compte plus que quelques maraîchers, quelques grandes cultures, des friches, des cabanons et une aire d’accueil des gens du voyage. Elle est le dernier espace agricole de la commune de Blagnac et présente un intérêt certain à être préservée dans un contexte de regain d’attractivité pour les zones agricoles périurbaines.
La genèse du projet de réaménagement de la plaine
Dès 2005, la commune de Blagnac souhaite protéger le foncier agricole et valoriser la zone des Quinze Sols (Figure 2). Afin de décourager les spéculateurs fonciers, elle initie une démarche d’acquisition foncière des terrains de la plaine et établit une convention avec la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER). Celle-ci informe la commune de la vente d’une parcelle et, systématiquement, la ville préempte à l’amiable. En 2007, des jardins familiaux sont également créés sur trois hectares de la partie sud de la plaine et mis à disposition des Blagnacais. En 2008, la plaine est classée inconstructible dans le plan de prévention des risques d’inondation. Cette procédure limite la pression foncière dans un contexte de forte urbanisation. Néanmoins, la vocation agricole n’est pas encore préservée et d’autres types d’aménagements peuvent être envisagés. Il y a eu, par exemple, des projets d’aménagement d’un port de plaisance ou d’un parc de loisir de type Aqualand sur la plaine. En 2010, la Métropole de Toulouse définit une politique agricole et signe une charte pour la préservation du foncier agricole. L’arrivée de Toulouse Métropole dans le projet favorise la vocation agricole de la plaine. En effet, en 2013, elle décide d’accompagner la commune de Blagnac dans l’objectif de redynamiser l’activité maraîchère sur la plaine, qui représente un important potentiel de production agricole de proximité.
L’année 2014 marque le début du programme de recherche-action intitulé « Développer le maraîchage dans la métropole toulousaine : l’expérience de la plaine des Quinze Sols » (Coulon, 2020). C’est un programme regroupant des acteurs ayant des expertises complémentaires : la municipalité de Toulouse, le bureau d’études Solagro, l’association départementale d’agriculture biologique Érables 31, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), l’unité mixte de recherche Centre d’étude et de recherche travail, organisation, pouvoir (CERTOP) et l’École nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole (ENSFEA). C’est un projet ambitieux de requalification complète du site, intégrant des dimensions agricoles, économiques, écologiques et paysagères. Ce projet comprend un schéma d’aménagement agropaysager pour la plaine et ancre la multifonctionnalité de cet espace, à la fois productif et récréatif.
Comprendre l’histoire et les usages de la plaine
Avant d’initier un réaménagement du lieu, il était primordial de connaître son histoire et les représentations que les habitants et les agriculteurs avaient de la plaine. En effet, coexistent sur la plaine une vingtaine d’habitations, une aire d’accueil des gens du voyage, quatre maraîchers « historiques » issus de familles de maraîchers, trois nouveaux maraîchers en agriculture biologique, un établissement de service d’aide par le travail (ESAT) et un producteur de céréales. Le projet de recherche-action a permis de comprendre les attentes des occupants et les usages de la plaine afin d’accueillir de nouvelles pratiques acceptées par tous. On apprend qu’avant le classement du site en zone inondable, les agriculteurs qui exploitaient au moins un hectare avaient le droit de construire une maison d’habitation sur leur exploitation (Boyelle, 2017). Il y a donc quelques maisons sur la plaine, mais les habitants d’aujourd’hui n’ont plus de lien avec le maraîchage. Seul un maraîcher de la plaine a encore sa maison sur place.
Des collectifs de maraîchers ont existé jusque dans les années 2000. On peut citer comme exemple la société d’intérêt collectif agricole des producteurs de Blagnac qui commercialisait la production maraîchère, ou la confrérie souveraine et jubilatoire de la carotte de Blagnac qui assurait la promotion de la carotte de la plaine (Boyelle, 2017). La dimension collective qui existait auparavant a pratiquement disparu. Aujourd’hui, seule l’association syndicale autorisée qui organise la gestion du système d’irrigation subsiste en tant que collectif.
Pour les habitants de la plaine, « vivre à la campagne en pleine ville » est un atout (Boyelle, 2017). Ils perçoivent la plaine plus comme un espace naturel que productif. Les anciens de la plaine regrettent la convivialité et l’entraide qui existaient à l’époque où il y avait de nombreux maraîchers. Les joggeurs et les promeneurs apprécient la tranquillité, les chemins peu fréquentés et non bétonnés en bord de Garonne.
Accompagner l’installation d’une nouvelle génération de maraîchers en agriculture biologique
Le découpage cadastral de la plaine est formé de multiples parcelles. Avant la procédure lancée par la mairie de Blagnac, il y avait 530 parcelles pour 118 propriétaires, dont certains n’ont jamais pu être retrouvés. La réorganisation foncière était donc nécessaire pour rendre cet espace très morcelé compatible avec une activité de maraîchage via la structuration d’unités d’exploitation viables. En vingt ans, la ville de Blagnac a acquis 60 hectares grâce à la convention signée avec la SAFER qui permettait de connaître les transactions et de préempter les terres. L’acquisition des terres par la commune a permis de mener ensuite une procédure d’échanges et cessions amiables d’immeubles ruraux (ECIR). Cela signifie que, depuis 2018, le conseil départemental, sous l’autorité de la commission communale d’aménagement foncier (CCAF), participe à une réorganisation du foncier à l’amiable pour regrouper les parcelles d’un même propriétaire et faciliter l’émission de baux agricoles. Ces deux procédures ont permis la structuration d’unités d’exploitations d’un à trois hectares. Les terres communales sont ensuite mises à disposition des agriculteurs sous forme de commodats pour cinq ans qui seront ensuite transformés en baux ruraux (Boureau, 2022). C’est une étape clé pour l’installation de nouveaux maraîchers car une surface minimale d’un hectare d’un seul tenant est nécessaire pour que l’exploitation soit viable économiquement et pour simplifier l’organisation du travail des agriculteurs.
L’installation de serres était interdite en raison de la classification de la plaine en zone inondable. La révision du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) en 2018 a autorisé leur implantation à certains endroits, à condition que leurs façades soient relevables en cas de crue et qu’elles s’insèrent bien dans le paysage. C’est une étape importante pour attirer une nouvelle génération de maraîchers car cela permet de diversifier leur production et de vendre leurs légumes avant la saison de pleine production.
Depuis novembre 2021, la plaine est classée en zone agricole protégée (ZAP) par un arrêté préfectoral. C’est la première de l’agglomération toulousaine. Elle soumet tout changement d’occupation du sol à l’avis favorable de la commission départementale d’orientation agricole ou à la décision préfectorale. C’est un outil supplémentaire pour reconnaître l’identité agricole du secteur et sanctuariser la vocation nourricière des terres des Quinze Sols (Bessettes et Dubucq, 2020).
Préserver le potentiel paysager et rendre la plaine accessible
Un diagnostic paysager de la plaine a été effectué lors du programme de recherche-action. Il a abouti à des propositions d’aménagement agropaysager qui concilient plusieurs fonctions : production maraîchère, mise en valeur paysagère et agroécologique et valorisation de la fonction récréative du site. En 2017, un document reprenant le schéma d’aménagement agropaysager est mis en annexe du PLUi afin de classer la plaine en site d’intérêt paysager (SIP). Le document décrit le potentiel paysager de la plaine « aux larges perspectives de vues, composé[e]s d’une mosaïque parcellaire aux couleurs et textures des plus variées en fonction des saisons » (Toulouse Métropole, 2017). Il propose également des aménagements comme « développer un maillage végétal continu et agroécologique entre les unités d’exploitations agricoles, favorables à la biodiversité », qui sera « complété d’espaces agroforestiers à vocation d’accueil du public et d’animation autour des composantes du paysage et de l’agricole ».
Ainsi, un premier verger de variétés anciennes et locales de pommiers, pruniers, cerisiers est planté en 2017. Un autre verger de fruitiers est planté sur une ancienne friche au milieu d’arbre venus spontanément (noyers, chênes) en 2019. Des arbres fruitiers ont également été plantés le long des chemins et des parcelles communales. Ils sont peu gourmands en eau et à faible développement pour éviter de faire de l’ombre sur les parcelles de maraîchage.
Des chemins de promenade ont été aménagés pour rendre la plaine accessible au plus grand nombre. Les pistes cyclables se situent aujourd’hui en bord de Garonne et ne traversent pas la plaine. Il y a de nombreux cyclistes sur les routes de la plaine. Pour rendre l’espace plus agréable pour les cyclistes, des projets de pistes cyclables et de chemins de promenade Est-Ouest sont étudiés.
Toutes ces actions mettent en valeur l’entité paysagère singulière de la plaine, protégée des vues sur la ville par une ceinture boisée, et doivent en faire un espace récréatif pour les riverains.
La requalification de la plaine est un projet de long terme, permis par un investissement humain et financier fort de la part des porteurs du projet. C’est aujourd’hui un espace sur lequel l’activité maraîchère est préservée et qui se transforme petit à petit en lieu récréatif. Sa proximité avec la ville et la Garonne lui confère des avantages mais également des contraintes que le projet de réaménagement doit encore prendre en compte.
Des freins toujours présents pour l’installation de nouveaux maraîchers
En 2022, il y a huit maraîchers sur la plaine : quatre historiques, issus de familles de maraîchers des Quinze Sols et proches de la retraite, dont un seul a trouvé un repreneur ; trois maraîchers qui se sont récemment installés en agriculture biologique ; et un établissement de service d’aide par le travail, L’arche en pays Toulousain, qui emploie des personnes en situation de handicap dans le cadre d’une activité maraîchère biologique. Il y a également plus d’une vingtaine d’ouvriers agricoles en haute saison. Le potentiel d’accueil de la plaine est de plus d’une vingtaine de maraîchers.
Néanmoins, des freins à l’installation de maraîchers sont encore présents. En effet, la construction de bâtiments en zone inondable est difficile et l’installation de toilettes ou de vestiaires pour les ouvriers n’est pas autorisée partout sur la plaine. Aussi, des aménagements sont nécessaires pour répondre aux besoins en eau de l’activité maraîchère car le système d’irrigation présent sur la plaine est ancien. Il est géré par l’association syndicale autorisée des Ramiers (ASA), créée en 1988 par des maraîchers de la plaine. L’eau est gérée comme un bien club : il faut faire partie du collectif de l’ASA pour utiliser le système d’irrigation. Pour le moment, l’entrée d’un nouveau maraîcher en agriculture biologique a été refusée par l’association en raison d’une divergence dans les pratiques d’irrigation. En effet, les maraîchers doivent s’organiser pour arroser en même temps car l’allumage des moteurs est très coûteux en électricité, ce qui n’était pas possible pour le nouveau maraîcher. L’association connaît en plus des difficultés financières. Il serait donc nécessaire de repenser la gestion de la ressource en eau afin qu’elle soit disponible pour tous les agriculteurs de la plaine lorsqu’ils en ont besoin.
Les anciens maraîchers ont pu éprouver un sentiment de rejet au début de la réorganisation du foncier en raison d’un manque de communication et d’association au projet. En effet, il y avait des accords informels sur l’utilisation de parcelles qui n’ont parfois pas été pris en compte. Dans ce contexte, il n’y a pas eu de transmission de savoir-faire vers les nouveaux maraîchers, qui sont peu intégrés au tissu agricole local. Il n’y a plus de dimension collective entre les maraîchers et pas de bâtiment mutualisé. Il serait intéressant de favoriser une dynamique collective sur la plaine et de faire travailler ensemble des agriculteurs qui ont des référentiels différents autour du mode de production, de la relation au territoire et à l’activité. L’animation d’un collectif entre les maraîchers pourrait favoriser les projets communs, les mutualisations et les chantiers collectifs.
L’absence d’interaction entre riverains et agriculteurs d’un même territoire
Les résidents, les maraîchers, les promeneurs, les cyclistes et les jardiniers du sud de la plaine se côtoient mais n’échangent pas. Des actions pourraient être mises en place afin de favoriser les interactions entre les acteurs de la plaine et développer la fonction pédagogique de l’agriculture. Des visites d’exploitations pourraient être organisées afin de mettre en valeur le métier de maraîcher et de montrer comment notre alimentation est produite. Cela aiderait à développer une plus grande proximité entre les consommateurs et leur alimentation. En outre, l’histoire de la plaine et de ses maraîchers gagnerait à être connue par ceux qui la fréquentent, tout comme la faune et la flore qui la composent. Ainsi, des supports de communication qui racontent cette histoire et qui décrivent la biodiversité des Quinze Sols pourraient être aménagés directement sur les chemins de promenade, à destination de toutes les personnes qui fréquentent cet espace. Une association pourrait être créée afin d’établir une stratégie de communication autour la plaine et gérer les activités qui y sont organisées.
Une filière locale à structurer
Une enquête menée auprès de familles de Blagnac montre que plus de 70 % d’entre elles seraient intéressées par l’achat de produits bio aux maraîchers de la plaine. Il est nécessaire de diversifier l’offre des agriculteurs, qui se sont spécialisés dans les choux, salades et poireaux, et d’augmenter le volume de la production en agriculture biologique. C’est ce qu’a fait Quentin Fauvre, maraîcher installé en bio depuis 2019. Il a une production très diversifiée avec trente-cinq légumes produits sur l’année, ce qui lui permet d’avoir en permanence six légumes à proposer (Fauvre, 2022). De cette manière, il peut vendre toute sa production localement, sous forme de paniers, directement sur son exploitation. Jordi Pijuan, un autre maraîcher, vend sa production par le biais d’une association de maintien de l’agriculture paysanne (AMAP). Les maraîchers de la plaine ont un accès privilégié au marché de plein vent de Blagnac et des relations commerciales ont été établies avec les épiceries bio de la ville et les restaurants. Enfin, la commune de Blagnac a signé une convention avec le marché d’intérêt national de Toulouse afin que les maraîchers aient accès au carreau des producteurs. Des démarches ont donc été entreprises pour faciliter la commercialisation de la production. Néanmoins, lorsqu’il y aura une vingtaine de maraîchers sur la plaine et que l’offre sera plus abondante, il sera nécessaire de trouver de nouveaux débouchés locaux. Dans ce contexte, la municipalité de Blagnac évalue actuellement un projet d’installation d’un point de vente collectif sur un point haut de la plaine. À plus long terme, la commune réfléchit également à l’instauration d’un label ou d’une marque pour les légumes de la plaine des Quinze Sols (Boureau, 2022).
Le projet de réaménagement de la plaine est ambitieux. Même si, par le passé, le projet a semblé manquer de portage politique fort pour accélérer l’installation de nouveaux maraîchers et améliorer leurs conditions de travail, la qualification en zone agricole protégée est un tournant et témoigne d’une forte implication politique. Les maraîchers qui s’installent montrent qu’un autre modèle de culture est possible sur la plaine. En effet, leur modèle, basé sur une production très diversifiée qui est bien valorisée à travers la vente directe aux consommateurs Blagnacais, leur permet de vivre en cultivant de petites surfaces. Ainsi, ils peuvent cultiver en agriculture biologique, mais aussi sans travail du sol. Ce modèle permet de limiter les investissements au moment de l’installation. Pour fertiliser le sol, la brigade équestre de Blagnac fournit le fumier des chevaux et des paysagistes de la ville apportent leurs déchets verts directement sur l’exploitation d’un des maraîchers (Fauvre, 2022). De plus, un système d’éco-pâturage est aujourd’hui à l’essai sur une partie de la plaine afin de maintenir le paysage et d’éviter la prolifération des sangliers.
Pour aller plus loin et afin d’étoffer l’offre locale, on pourrait réfléchir à un modèle de production en coopération fait de synergies dans lequel il y aurait des échanges entre les agriculteurs de la plaine. Il faudrait pour cela diversifier les ateliers de production en intégrant par exemple un éleveur et un paysan boulanger. Les maraîchers pourraient alors valoriser le fumier des animaux pour fertiliser leur sol et les bêtes pourraient pâturer sur les parcelles non cultivées des maraîchers. Le paysan boulanger pourrait cultiver des petites surfaces qu’il valoriserait bien à travers la transformation et des rotations pourraient s’organiser entre les productions. Un système agricole global pourrait donc être mis en place sur les Quinze Sols, à condition que la dimension collective prenne véritablement forme. Ce modèle permettrait de réaliser une transition agroécologique sur la plaine.
La plaine a aujourd’hui plutôt une fonction productive et a du mal à faire émerger une fonction pédagogique ou sociale. Outre la mise en place d’actions de communication et de pédagogie autour de l’agriculture décrites précédemment, des projets solidaires pourraient être mis en place pour renforcer la fonction sociale de la plaine et mettre la production maraîchère à disposition des personnes en situation de précarité. Cela peut passer par un accord avec les associations d’aide alimentaire de Blagnac comme les Restos du cœur ou le Secours catholique.
L’expérience de la plaine des Quinze Sols est riche d’enseignements et régulièrement partagée dans le cadre du plan agricole et alimentaire de la Métropole de Toulouse (Karcher, 2022). L’aboutissement de la procédure de qualification des terres en zone agricole protégée a notamment permis de montrer que cela pouvait se faire dans un délai raisonnable. Cette procédure peut s’avérer particulièrement utile pour protéger le foncier exposé à l’urbanisation sur d’autres espaces de la métropole. Il y a aujourd’hui 11 000 hectares de terres agricoles qui doivent être protégés et dont le modèle de production pourrait être repensé pour permettre une transition agroécologique et pour que la production soit consommée localement.
Enfin, chaque lieu a ses spécificités dont doit tenir compte chaque projet de réaménagement d’espaces agricoles périurbains. Néanmoins, le partage d’expériences pourrait se faire avec d’autres métropoles qui ont mené des projets de ce type ou qui souhaitent le faire. Les exemples de la ville archipel de Rennes, les Agriparcs de Montpellier ou le projet bordelais de périmètre de protection et de valorisation des espaces agricoles et naturels (PPEANP) semblent très intéressants à partager.
Auteure : Charlotte COUREAU