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Les entreprises agroalimentaires ont un défi à relever face aux enjeux actuels de préservation de l’environnement, de changement climatique et de limites du modèle agro-industriel : celui de produire des aliments durables. Et face aux scandales et à l’opacité du système alimentaire régulièrement dénoncés, leur second défi est de retrouver la confiance des consommateurs.
Comment les entreprises agroalimentaires, a fortiori les jeunes, font-elles pour produire des aliments durables ? Comment sont-elles accompagnées ? Quels outils utilisent-elles ? Comment communiquent-elles sur leur démarche de durabilité ? C’est à ces questions que nous nous intéressons avec l’étude de deux jeunes entreprises lyonnaises.
La production de denrées alimentaires doit respecter des normes et réglementations liées à l’hygiène, à l’analyse des risques alimentaires, à l’emballage, sans compter le respect de référentiels spécifiques de sécurité sanitaire imposés par certains distributeurs (comme l’International Featured Standard ou IFS et le British Retail Consortium ou BRC). Les entreprises doivent aussi répondre aux besoins des consommateurs, qui réclament des produits alimentaires sains, les moins transformés possible et plus respectueux de l’environnement, sans oublier la question du prix [1] . Pour Didier Majou, directeur de l’Association des centres techniques de l’industrie alimentaire (ACTIA), la création d’un produit alimentaire est un « compromis raisonné » entre les « 8 S », comme illustré dans la figure 1.
Respecter tout cela est déjà compliqué pour un bon nombre d’entreprises alimentaires, surtout les PME-TPE qui ont moins de moyens financiers et humains. Et pour celles parmi elles qui voudraient en plus produire durablement ?
Il n’existe pas de définition d’un aliment durable. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) définit les régimes alimentaires durables comme « des régimes ayant de faibles conséquences sur l’environnement, qui contribuent à la sécurité alimentaire et nutritionnelle ainsi qu’à une vie saine pour les générations présentes et futures. Les régimes alimentaires durables contribuent à protéger et à respecter la biodiversité et les écosystèmes, sont culturellement acceptables, économiquement équitables et accessibles, abordables, nutritionnellement sûrs et sains, et permettent d’optimiser les ressources naturelles et humaines » (FAO, 2010).
Mais il n’existe pas de recette pour fabriquer un aliment durable, ni même de réglementation ou de norme. Il est nécessaire d’intégrer beaucoup de composantes. Dès lors, comment font les jeunes entreprises pour fabriquer des produits durables et comment lancent-elles leur activité ?
L’incubateur Foodshaker, un lieu pour se tester et se lancer
Les deux entreprises Comme des Grands et HARI&CO ont été incubées par le Foodshaker de l’Institut supérieur d’agriculture Rhône-Alpes (ISARA). La start-up HARI&CO a été incubée en 2015, alors que l’incubateur se structurait et la start-up Comme des Grands en 2021. Les deux entreprises ont fait le choix de rejoindre un incubateur car, comme l’indique Marion Zamboni, cofondatrice de Comme des Grands, « monter une entreprise n’est pas toujours simple et d’autant plus lorsque c’est la première fois, il y a beaucoup de choses que l’on se sait pas et que l’on découvre » (Zamboni, 2021).
Le Foodshaker sélectionne deux fois par an des projets alimentaires innovants. Les deux tiers des projets incubés concernent la transformation alimentaire. Le tiers restant porte sur des projets de distribution ou de consommation, comme des applications web.
Les projets sont sélectionnés selon différents critères : les capacités entrepreneuriales des porteurs de projet, le caractère innovant, l’adéquation entre les besoins des porteurs de projet et l’offre de l’incubateur.
Enfin, lors de la sélection, un regard est porté sur les autres projets incubés pour éviter la concurrence. Il n’y a pas de critère à proprement parler concernant la durabilité. Selon Stéphanie Tabaï, responsable de l’incubateur depuis le printemps 2020, la durabilité doit être au cœur du projet.
L’incubation dure 18 mois au maximum. Les porteurs de projet bénéficient de la halle technologique pour mettre au point leur produit et lancer leurs premières productions. Les entrepreneurs bénéficient aussi de formation, des conseils et de l’expertise de l’équipe de l’incubateur. Les domaines concernés sont variés : l’aspect nutritionnel, la formulation, les techniques de procédés industriels, l’aspect économique, le statut de l’entreprise, la mise en valeur des produits, les problématiques d’emballage, les réflexions autour des matières premières ou la réduction des déchets. En revanche, il n’existe pas de réseau de mise en relation avec les autres acteurs du système alimentaire. Les entrepreneurs doivent démarcher leurs producteurs et leurs fournisseurs. Ils s’appuient parfois sur d’anciens porteurs de projet pour bénéficier de leur expérience. L’équipe aide également les porteurs de projet à se questionner sur leur stratégie et à choisir les outils marketing qui permettent de mettre en avant leur produit, ses qualités et les valeurs de l’entreprise. Concernant l’évaluation d’impact environnemental, pour Stéphanie Tabaï, aucun outil simplifié utilisable par les entrepreneurs n’a été identifié. L’entreprise Comme des Grands bénéficie du travail d’un groupe d’étudiants de l’ISARA. Ces derniers travaillent sur l’évaluation environnementale du projet, au travers de l’analyse de cycle de vie, pour faire un état des lieux et dégager peut-être des pistes d’amélioration.
Le taux de survie des start-ups de l’incubateur est de 65 %. Il monte à 70 % sur les cinq dernières années. C’est donc un bon appui pour tester et lancer son activité.
Comme des Grands, pour un goûter sain, gourmand et écoresponsable
C’est en observant que les goûters pour enfants étaient souvent très gras et très sucrés, avec des additifs même en version bio, que Marion et Aurélie Zamboni ont lancé leur projet. Marion Zamboni, ingénieure en agroalimentaire, et sa belle-sœur Aurélie Zamboni, ingénieure en cosmétique, sont réunies par les mêmes valeurs. Leur projet étant incubé depuis le début de l’année 2021, elles lancent leurs premières productions au début de l’année 2022. Dès le démarrage de leur projet, elles avaient à cœur de proposer des biscuits non seulement sains, avec une liste limitée d’ingrédients biologiques, mais également gourmands. Pour cela, elles ont fait valider leurs recettes par des enfants, car pour elles le goûter est aussi un moment de plaisir. Pour les deux jeunes femmes, il s’agit aussi de proposer des produits respectueux de l’environnement. Cela se traduit par une fabrication artisanale à Lyon, et par le choix d’ingrédients issus de l’agriculture biologique, les plus bruts possible, en grande majorité français ou équitables. Elles ont aussi choisi comme emballage primaire (en contact avec les biscuits) un sachet en cellulose de bois. Il est recyclable ou compostable. L’emballage secondaire est en carton recyclable avec des encres végétales et leur permet aussi de communiquer.
Pour faire connaître et communiquer sur leur démarche, elles s’appuient sur leur site Internet et les réseaux sociaux. Elles ont aussi fait le choix d’avoir plusieurs labels dès le lancement : le label AB (agriculture biologique), car il est connu et reconnu des consommateurs et des acteurs du système alimentaire, et le Nutri-score, l’indicateur nutritionnel simplifié. Tous leurs biscuits ont une note A ou B dans ce dernier. Pour Marion Zamboni, même si le Nutri-score n’est pas parfait et un peu réducteur, c’est un bon moyen de communiquer auprès des consommateurs. L’entreprise communique non seulement sur ses produits, ses engagements, mais aussi sur la biodiversité et son importance. Les cofondatrices ont choisi trois représentants animaux et insecte français, en voie de disparition. Elles souhaitent donner des informations et des clés aux enfants et aux parents pour mieux consommer.
Pour l’instant, les deux jeunes femmes sont concentrées sur le lancement de leurs productions et leur référencement dans les magasins bio ou vrac. La durabilité de leurs produits ne se lit pas dans une démarche structurée de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Mais elles en ont intégré bon nombre d’aspects dans leur projet initial. Le plus gros défi de Comme des Grands, à ce stade, est de valider sa viabilité économique. Les cofondatrices utilisent les labels pour montrer aux consommateurs leurs engagements, mais elles n’ont pas encore le temps, ni les finances, pour s’orienter vers des labels de RSE.
HARI&CO, la végétalisation de l’alimentation et la construction d’une filière de légumineuses locale
Emmanuel Brehier et Benoît Plisson, cofondateurs de HARI&CO, sont deux anciens étudiants de l’ISARA. Ils ont intégré l’incubateur pour tester à plus grande échelle leur produit, pour lequel ils avaient gagné un prix de l’innovation. Ils sont partis du constat en 2013 qu’il n’y avait pas d’alternative à la viande et au poisson lorsqu’ils déjeunaient aux restaurants universitaires. Pour eux, diminuer la consommation de protéines animales est une des clés pour agir positivement sur le changement climatique. De plus, lors de leurs études d’agronomie, ils ont compris l’intérêt des légumineuses aussi bien pour les sols, pour les agriculteurs que pour les consommateurs. Ils ont développé des galettes et des boulettes à base de légumineuses, avec des légumes et des épices, en bio et sans additif. Ils ne cherchent pas à reproduire le goût et la texture de la viande. Dès le début de leur projet, ils voulaient végétaliser l’alimentation et réconcilier les consommateurs avec les légumineuses, qui ont encore mauvaise réputation : elles sont souvent taxées d’être compliquées à préparer, pas très intéressantes sur le plan gustatif et difficiles à digérer. Ils ont donc voulu proposer des produits qui mettent les légumineuses en avant, faciles à préparer et sans faire de compromis sur le goût.
Ils ont commencé à travailler avec la restauration collective en 2015. Cela reste aujourd’hui la plus grande part de leurs débouchés commerciaux. Thierry Audemard, responsable de la restauration collective de la ville de Villeurbanne à l’époque, a travaillé avec eux pour affiner la formulation des produits. L’objectif était que ceux-ci soient facilement utilisables en restauration collective et appréciés des enfants, des adolescents et des jeunes adultes. Thierry Audemard (2022) souligne le fait que Emmanuel Brehier et Benoît Plisson ont été très à l’écoute des contraintes de la restauration collective et des retours des dégustations ou des repas tests, ce qui a compté pour leur collaboration et sa pérennité. Il précise que le processus de développement de produits peut nécessiter plusieurs mois et qu’il est donc important que la collaboration s’inscrive sur le long terme. Il mentionne également que même si la tendance est de faire plus de préparation directement dans les cuisines de la restauration collective, c’est important d’avoir des produits qui permettent de soulager un peu l’équipe ou de pallier les aléas d’organisation. Cela représente 10 à 15 % des produits utilisés dans sa cuisine centrale. De plus, les produits de l’entreprise lyonnaise permettent d’ajouter de la variété dans les menus végétariens. Les deux cofondateurs de l’entreprise profitent de travailler avec la restauration collective pour sensibiliser le public à l’importance de « décarboner l’alimentation », à travers des animations, des jeux, des affiches. Pour eux, cela fait partie de leur mission d’entreprise d’accompagner les consommateurs vers une alimentation plus végétale.
En parallèle de la restauration collective dans différentes régions de France, ils ont aussi débuté des partenariats avec des restaurateurs lyonnais et parisiens et travaillent avec une société qui élabore des menus destinés à la livraison. Ils ont donc plusieurs débouchés dans la restauration hors domicile. À partir de 2018, ils ont été référencés par la grande distribution. Emmanuel Brehier (2021) souligne qu’ils veulent être accessibles au plus grand nombre, et ne pas être présents qu’auprès de distributeurs spécialisés. Cela fait sens, car selon le baromètre Shopper 2021 [2], 92 % des français font leurs courses du quotidien en supermarché ou hypermarché.
Dès la création de la start-up, les deux entrepreneurs souhaitent utiliser des légumineuses françaises et fabriquer leurs produits en France. Ils ont depuis franchi un autre cap. Début 2021, ils ont créé une filière de légumineuses avec des agriculteurs de la région Auvergne-Rhône-Alpes, proches du lieu de fabrication. Emmanuel Brehier précise qu’ils veulent créer des liens forts et durables avec les producteurs. Ils souhaitent contribuer au développement de l’agriculture biologique et à la transition agroécologique. D’ailleurs, certains des dix agriculteurs partenaires cultivent pour la première fois des légumineuses.
Tous ces partenariats se sont créés par le biais de rencontres parfois fortuites. L’entreprise chemine seule sur ces sujets. Elle ne s’appuie pas sur une structure qui permettrait de faciliter les rencontres et les partenariats. Au-delà des animations dans la restauration collective, qui sont parfois anonymes, l’entreprise HARI&CO communique sur ses produits et sa démarche en utilisant les emballages, le site Internet et les réseaux sociaux. Elle publie entre autres des vidéos pour faire connaître le métier d’agriculteur, au travers des différentes étapes de la culture des légumineuses. L’entreprise affiche sur son site ses valeurs : innovation, engagement, transparence et optimisme. Les deux cofondateurs ont aussi fait le choix d’avoir plusieurs labels : AB, Végan, Nustri-score et PME+. Le label PME+ est dit « celui des entreprises engagées pour l’humain, l’emploi et l’environnement », et permet à la start-up HARI&CO de faire reconnaître sa démarche RSE. Celle-ci se traduit par un premier engagement « de relocaliser en France une agriculture durable et respectueuse des agriculteurs » et un second « de réduire l’empreinte carbone de l’alimentation grâce au végétal [3] ».
Au travers de ces deux exemples de jeunes entreprises, le constat est que c’est par la volonté et l’implication des dirigeants que se fait l’engagement pour une alimentation durable. L’entreprise HARI&CO a fait le choix d’un label RSE pour montrer son engagement et le faire reconnaître.
La RSE, une démarche volontaire
La RSE est définie par la Commission européenne comme « l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes [4] ». En d’autres termes, la RSE c’est la contribution des entreprises aux enjeux du développement durable. C’est donc une démarche volontaire, qui va au-delà des obligations réglementaires. Les entreprises qui font le choix de cette démarche cherchent à avoir un impact positif sur la société et l’environnement. Pour Yannou-Le Bris et al. (2019), « cette démarche offre aussi l’opportunité de mieux évaluer l’environnement, d’accroître ses connaissances de cet environnement et d’orienter son modèle d’affaires vers de nouvelles possibilités de création de valeur en les entraînant vers une offre différenciante ». Pour les auteurs, « la mise en place de pratiques plus durables dans les entreprises conduit à favoriser des processus de co-conception avec les parties prenantes pour développer des solutions qu’elles ne peuvent construire et déployer seules ».
La norme ISO 26000, publiée en 2010, est celle qui donne « les lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale » et définit la RSE comme étant « la contribution des organisations au développement durable. Elle se traduit par la volonté de l’organisation d’assumer la responsabilité des impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l’environnement et d’en rendre compte » » (Groupe AFNOR, 2011). Cette norme aide les entreprises à construire leur « stratégie responsable », par le biais de questionnements sur l’impact de leurs activités sur l’environnement et la société. Cette norme n’est pas certifiable, au contraire des labels. Ce n’est pas une norme de management, contrairement à l’ISO 9001 par exemple, qui va permettre aux entreprises de mettre en place un système de management de la qualité.
Cependant la démarche RSE d’une entreprise peut être labellisée. Cette labellisation permet aux entreprises de légitimer leurs actions et d’être reconnues pour leur démarche RSE. Il existe de nombreux labels RSE.
Le label RSE PME+ existe depuis 2014. Il a été créé par la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France FEEF) et n’est donc utilisé que par ses adhérents. Ce label se base sur la norme ISO 26000. Le référentiel associé se base sur sept thèmes, présentés dans la figure 2.
Les dirigeants de HARI&CO ont choisi ce label car il est reconnu par les grandes enseignes de la distribution. Pour eux, c’est aussi un moyen de faire reconnaître leur démarche RSE et d’avoir des pistes pour s’améliorer en continu. Comme le signale Marion Hermet (2021), chargée de communication chez HARI&CO, c’est aussi une façon de récompenser le travail de toute l’équipe.
La tendance est à la multiplication des labels RSE, ce qui entraîne des difficultés de choix pour les entreprises. Des organismes de conseil publient sur Internet des articles pour aider les entreprises à faire leur choix. Pour Didier Majou, ces démarches nécessitent un accompagnement, surtout pour les PME qui n’ont pas les ressources en temps ni en personnel pour gérer ces sujets. Pour Gwenola Yannou-Le Bris, chercheuse à AgroParisTech et spécialiste du management de l’innovation et de l’écoconception, « le coût d’appropriation pour les entreprises de la norme ISO 26000 est fort » (Yannou-Le Bris, 2022). La norme n’est pas contraignante. Et pour elle, les labels sont structurants. Elle souligne que les limites sont la connaissance et l’envie des dirigeants d’entreprise. Si l’obtention de ces labels RSE demandent un investissement aux entreprises, est-ce qu’ils permettent de gagner la confiance des consommateurs ?
Les labels RSE sont-ils reconnus par les consommateurs ?
Pour les entreprises, choisir d’être labellisées RSE, c’est faire reconnaître par un tiers leur démarche et légitimer leurs actions. C’est l’entreprise qui est labellisée et non pas les produits qu’elle fabrique. Ces labels d’entreprises s’ajoutent aux labels qui concernent directement les produits.
Ces différents dispositifs peuvent égarer les consommateurs, qui doivent décrypter les étiquettes et les logos sur les emballages. Ils doivent également se tenir informés de l’évolution et de la création de tous ces « indicateurs ». Cela devient extrêmement compliqué, car tous les consommateurs ne sont pas des spécialistes de ces sujets.
D’autres indicateurs environnementaux sont fonctionnels depuis un an. Il s’agit de l’Eco-score et du Planet-score. Ce sont les équivalents du Nutri-score pour noter les impacts environnementaux des produits. L’État français devrait proposer un indicateur harmonisé pour la fin d’année 2022. Les travaux sont toujours en cours. En attendant, les controverses sur ces indicateurs perdurent. En effet, il est très compliqué de résumer en une seule note tous les enjeux du développement alimentaire durable.
Des associations de consommateurs telles que l’UFC Que choisir et des associations de défense de l’environnement sortent régulièrement des études et des guides sur les labels pour aiguiller les consommateurs. L’objectif est de les aider à comprendre à quoi ces labels correspondent vraiment. C’est le cas de l’étude menée par Greenpeace France, le WWF France et le Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (BASIC) en 2021 sur onze labels français en rapport avec la durabilité alimentaire. Les labels RSE sont encore peu connus et compris des consommateurs. Ces associations devront très certainement faire le même travail avec les labels RSE, pour expliciter aux consommateurs quels sont les objectifs et exigences de ces labels. Comme les labels ne sont pas forcément la solution pour retrouver la confiance des consommateurs, la transparence l’est peut-être ?
Le collectif En vérité, des marques qui s’engagent pour la transparence
La transparence fait partie des valeurs de l’entreprise HARI&CO. C’est pour cette raison qu’elle fait partie des douze marques alimentaires qui ont constitué le collectif En vérité, début décembre 2021. Fin mars 2022 ce sont quarante marques qui font partie du collectif, avec une grande variété d’entreprises. Sébastien Loctin, dirigeant de l’entreprise Biofuture, est à l’initiative de ce collectif. Pour lui, c’est anormal que les entreprises qui veulent fabriquer des produits sans pesticide, sans additif, avec une bonne qualité nutritionnelle, aux matières premières tracées, aient à payer pour indiquer cela sur leurs emballages. Pour le collectif, le consommateur a le droit de savoir ce qu’il mange et que les informations soient disponibles sur les emballages de façon simple. Les entreprises qui font partie du collectif demandent aux législateurs « que la transparence soit obligatoire sur tous les produits alimentaires, avec des critères communs à toutes les marques. Ces critères doivent au minimum permettre aux Français de connaître la vérité sur quatre critères essentiels, ceux qui impactent le plus leur santé et leur environnement et qui correspondent à leurs attentes en termes d’information ». Ces critères sont : le type d’agriculture utilisée, l’origine réelle des ingrédients, les additifs et la valeur nutritionnelle. Pour ce collectif, s’il existe déjà des informations sur les produits, elles sont le plus souvent incomplètes ou ambigües pour les consommateurs. Dans son manifeste, le collectif indique que « nourrir des gens n’est pas juste un métier, et encore moins un simple business : c’est une responsabilité [5] ». Sébastien Loctin précise qu’il croit en l’action collective pour faire évoluer les choses, y compris la réglementation. Il a également conscience que les réglementations se définissent maintenant au niveau de l’Europe. Il serait très heureux que la France s’empare de ce sujet, à l’instar du Nutri-score. Pour le collectif, la transparence permettrait aux consommateurs de faire ces choix en toute connaissance de cause. C’est pour cela que Sébastien Loctin indique que le collectif cherche à embarquer dans ce mouvement de demande de transparence la société civile comme groupe de soutien. Il évoque que « la transparence, c’est la vraie souveraineté alimentaire » (Loctin, 2022). À ce stade, nous pouvons nous demander quel peut être le rôle de l’État sur ce sujet.
L’État pourrait-il être l’acteur de confiance pour évaluer les produits alimentaires ?
C’est en tout cas le point de vue de Gwenola Yannou-Le Bris. Pour elle, tout ne peut pas reposer sur le consommateur. De plus, tous les consommateurs ne sont pas en mesure de comprendre et d’évaluer les informations, les allégations et autres logos sur les emballages alimentaires. Selon elle, il est nécessaire qu’un tiers de confiance garantisse aussi bien la composition que les conditions de production des aliments. La durabilité des produits ne peut être évaluée que par des personnes ayant les compétences adéquates.
Pour Didier Majou, l’avenir des entreprises alimentaires dépend des moyens financiers qu’elles auront. Pour lui, le levier que les institutions peuvent utiliser est l’aide financière aux PME-TPE pour produire de façon plus durable.
Pour que la RSE permette de développer la durabilité des entreprises agroalimentaires, il faudrait que ce soit une démarche systématique, voire obligatoire, pour toutes les entreprises du secteur, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. Pour l’instant, l’objectif de produire une alimentation durable repose sur les convictions et la volonté des entrepreneurs, comme nous avons pu le voir dans les deux exemples d’entreprises lyonnaises.
Les labels RSE peuvent permettre de structurer une démarche, mais il faudrait que les exigences soient contraignantes et harmonisées.
Parmi les pistes pour développer l’alimentation durable, il y a l’évolution de la réglementation. Cette piste, même si des marques se mobilisent pour la réclamer, risque de prendre beaucoup de temps.
Une autre voie serait d’accompagner les entreprises, souvent seules pour chercher des solutions ou créer des partenariats, dans leur démarche auprès des collectifs pluridisciplinaires et multi-acteurs. C’est un peu ce que souhaite faire l’ISARA, avec l’École de management de Lyon et le Crédit agricole. Ils ont voulu proposer une suite à l’accompagnement de création d’entreprise, en créant un accélérateur à destination des entreprises agroalimentaires en phase de croissance : le Zesteur . L’ambition de cet accélérateur est de participer « à la transition agricole et alimentaire durable en réunissant des start-ups et des acteurs de la filière ». Le Zesteur propose « un parcours d’accélération pour les start-ups qui souhaitent faciliter leur développement et une offre d’accompagnement pour les entreprises de la filière qui souhaitent augmenter leur potentiel d’innovation ». En février 2022, le Zesteur lançait son premier appel à projets.
Ce type de dispositif permettrait de faire circuler les connaissances plus rapidement, de mutualiser les outils et de faciliter les partenariats. La dimension collective peut permettre d’amplifier les bonnes initiatives individuelles.
Auteure : Cathy DERAIL
[1] Voir « Les Français et l’alimentation durable », sondage réalisé par Ipsos pour la Fondation Daniel & Nina Carasso, 2016.