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Quels enseignements tirer des expérimentations de Caisses alimentaires communes ?

Par Alice Dubois

Décembre 2025

Les 26 et 27 novembre derniers, se tenaient à Bordeaux les journées d’études sur les expérimentations de Caisses alimentaires communes, inspirées par le projet de Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA). Organisées par les structures porteuses de la Caisse commune de l’alimentation de Gironde - notamment le collectif Acclimat’action - ces rencontres visaient à restituer les premiers résultats de recherche-action sur ces expérimentations qui se multiplient un peu partout en France. Une dizaine d’initiatives étaient représentées par plus d’une soixantaine de chercheur·es, animateur·rice·s, et citoyen·ne·s.
Bien que les Caisses soient des expérimentations très récentes, lancées en 2023 pour les plus anciennes, elles ont déjà produit beaucoup de matière à analyser.

Après une première journée de restitution de l’expérimentation girondine, un temps était dédié aux regards croisés sur les enseignements des différentes expérimentations de Caisses. Cette mise en commun des résultats a permis de révéler de nombreuses similitudes, et de s’inspirer des différences. Parmi les ressemblances, on peut citer une forte adhésion aux projets de la part de leurs expérimentateur·rice·s, qui y voient un outil du mieux-manger (avec des évolutions des pratiques alimentaires vers une consommation accrue de produits bio, frais et peu transformés), de démocratie et de mixité sociale. Les différences concernent surtout les modalités de fonctionnement, telles que les formes de cotisation, de distribution des allocations, de conventionnement et de gouvernance. A Cadenet par exemple, le conventionnement correspond à un pourcentage du prix de chaque produit, remboursé a posteriori des achats, en fin de mois. Ce travail administratif fastidieux est réalisé collectivement. À l’inverse, à Montpellier, les membres de la Caisse dépensent les MonA (une monnaie alimentaire locale), reçus en début de mois en fonction de la composition de leur foyer, dans des magasins conventionnés par un comité citoyen.

Au terme de ces échanges foisonnants, ont également émergé de nouvelles questions transversales. Nous rapportons ici celles que nous avons identifiées comme les trois principales.

Tout d’abord, le conventionnement des points de vente et des produits favorise un certain type d’alimentation, principalement locale, biologique et paysanne, avec laquelle tout le monde n’est pas familier. Les épiceries bio, coopératives et marchés de producteurs sont des espaces majoritairement fréquentés par les classes supérieures, pour qui l’effort d’adaptation et le coût d’entrée est faible. Se pose alors la question de savoir quelle définition d’alimentation durable les expérimentations de Caisses alimentaires communes veulent porter : y a-t-il une (seule) alimentation durable ? Comment valoriser une culture alimentaire durable, sans délégitimer ou effacer d’autres schémas d’alimentation, plus éloignés des normes classiques de la durabilité ?

Ensuite, la question du financement revient toujours en creux. Tant que la cotisation sera volontaire et non obligatoire à l’échelle nationale, les Caisses ne seront jamais entièrement indépendantes de financements extérieurs. À court terme, cela pose la question de comment diversifier les sources de recettes. Faut-il impliquer les points de vente, en les incitant à redistribuer une partie des bénéfices réalisés grâce à leur conventionnement ? Est-il éthiquement acceptable d’envisager du mécénat d’entreprises ?

Un dernier enjeu porte sur la pérennisation des initiatives. Le caractère expérimental, et donc temporaire, des dynamiques de Caisses alimentaires constitue un plafond dans la lutte contre la précarité alimentaire. Si les études ont montré une multiplication des canaux d’approvisionnement et une diminution du taux de précarité alimentaire parmi les foyers expérimentateurs les plus défavorisés, ces derniers n’ont pour autant pas complètement renoncé à l’aide alimentaire. Face à l’avenir incertain des Caisses, ces ménages entretiennent leurs liens avec les associations d’aide alimentaire en prévision de la fin possible de l’expérimentation. Il y a donc une réflexion à amorcer au plus vite sur l’accompagnement des plus précaires pour penser l’après.

Cette première phase de restitution était principalement axée sur les effets internes aux Caisses, qu’il s’agisse des pratiques alimentaires, démocratiques, ou des lieux conventionnés. En revanche, peu de travaux semblent avoir déjà abordé le rayonnement des expérimentations au-delà de leur cercle d’action, comme par exemple au sein des institutions politiques. Dans quelle mesure les expérimentations de SSA peuvent inspirer les programmes politiques des élu·e·s ? De telles expérimentations peuvent-elles insuffler des changements de fonctionnement au sein des institutions politiques ? Ces dynamiques font précisément l’objet d’une enquête menée dans le cadre d’un stage à la Chaire Unesco Alimentations du Monde, dont les résultats seront publiés prochainement.