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Ce travail a été réalisé suite à une demande de la Direction générale de la cohésion sociale, dans le cadre des travaux du Comité national de coordination de la lutte contre la précarité alimentaire (Cocolupa).
En France, plus de huit millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire. Cela signifie qu’elles n’ont pas régulièrement accès à suffisamment d’aliments sains et nutritifs pour un développement normal et une vie active et saine.
Pour faire face à cette insécurité alimentaire, l’aide alimentaire en nature organisée par le circuit associatif constitue la principale réponse. D’après l’INSEE, entre 2 et 4 millions de personnes y ont eu recours en 2021 en France métropolitaine [1] . Cette aide peut prendre différentes formes, comme la distribution de colis ou l’accès à des produits à prix réduits dans des épiceries sociales.
Les produits qui composent l’aide alimentaire sont collectés par les associations auprès de la grande distribution, des industries agroalimentaires, des agriculteurs ainsi que des particuliers, ou achetés grâce au programme alimentaire du Fonds social européen (FSE+) ou sur fonds propres. Pour l’ensemble des structures de l’aide alimentaire, indépendamment de leur taille et de leurs missions (distribution de colis, gestion d’une épicerie sociale), la constitution d’une offre alimentaire équilibrée est un enjeu fondamental. Pourtant, les recommandations exprimées sous forme de fréquences de consommation journalières (au moins cinq fruits et légumes par jour, par exemple) ou hebdomadaires (du poisson deux fois par semaine) ne sont pas adaptées au contexte de l’aide alimentaire. En effet, ces conseils n’indiquent pas combien il faudrait mettre de fruits et légumes et de poisson dans un panier de 15 kg, par exemple. Aussi, afin de faciliter la constitution de dons équilibrés sur le terrain, un référentiel spécifique à l’aide alimentaire a été élaboré en 2008 (Darmon, 2008). Ce référentiel indique les parts pondérales respectives des principales catégories d’aliments à respecter pour que l’aide soit équilibrée sur le plan nutritionnel.
Nous présentons ici la révision de ce référentiel pour qu’il intègre les dernières recommandations françaises de consommations alimentaires et d’apports en nutriments. Nous proposons aussi une piste pour faciliter sa mise en pratique sur le terrain.
Méthodologie
Ce travail a été réalisé en s’appuyant sur les données de la dernière étude individuelle nationale des consommations alimentaires (INCA 3) en France métropolitaine [2]. Comme pour l’élaboration du précédent référentiel, la méthode utilisée est celle de l’optimisation sous contraintes par programmation linéaire (Rambeloson et al., 2008). Les consommations moyennes des adultes ayant participé à INCA 3 ont été estimées et représentent la « diète observée ». Celle-ci est constituée de 55 items alimentaires regroupés en 15 catégories et 7 groupes d’aliments. Partant de cette diète, un premier modèle de programmation linéaire a été appliqué pour aboutir à une diète optimisée, dans laquelle le respect de l’ensemble des recommandations d’apports en nutriments de l’ANSES et des recommandations de consommation alimentaire du PNNS 4 est garanti par une liste de contraintes chiffrées (annexe 1). Pour respecter ces contraintes, le modèle peut faire varier les quantités des 55 items alimentaires. Les parts pondérales des différents groupes d’aliments (en poids tels que consommés) dans cette combinaison optimisée ont servi de base à l’actualisation du référentiel.
Un second modèle d’optimisation a été construit pour suggérer des exemples concrets de dons respectant le référentiel actualisé, sur la base d’une liste de 70 denrées, correspondante aux aliments les plus couramment distribués dans le circuit de l’aide alimentaire en France, selon le dernier rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) (Le Morvan et al., 2020). Des dons d’une quinzaine de kilos, correspondant au poids moyen d’un panier distribué d’après l’enquête E3A (Darmon et al., 2008), ont été générés avec le second modèle d’optimisation.
Une nouvelle répartition des groupes d’aliments
La figure 1 compare la répartition des groupes d’aliments en pourcentage du poids total (et des catégories d’aliments en pourcentage du poids de leur groupe) entre l’ancien et le nouveau référentiel. Dans ce dernier, deux types d’aliments à favoriser font leur entrée : les légumineuses (au moins 4 % du poids total tel que consommé) et les fruits à coques (3 % du poids des fruits et légumes tel que consommé). La catégorie viande hors volaille est à limiter (pas plus de 28 % du poids du groupe viandes, œufs et poissons). On note aussi une légère augmentation de la part des fruits et légumes (au moins 37 %, contre 33 % en 2008) au détriment de celle des produits laitiers (20 %, contre 25 % en 2008). Les pourcentages de produits gras/sucrés/salés et de matières grasses demeurent très minoritaires.
Passer d’une répartition théorique à la confection d’un panier
Comme dans le précédent référentiel, les pourcentages sont exprimés en parts pondérales des aliments tels que consommés (pâtes cuites, fruits épluchés). Pour appliquer ces recommandations, les associations doivent appliquer des facteurs de conversion dits de « proportion comestible », permettant de passer du poids d’un aliment « tel que distribué » au poids d’un aliment « tel que consommé » (les ordres de grandeur de ces facteurs de conversion sont indiqués dans l’annexe 2). Pour les aliments comportant des déchets, le poids tel que distribué est multiplié par un facteur de conversion inférieur à 1 afin de connaître le poids tel que consommé : généralement 0,6 à 0,7 pour les viandes et poissons ; 0,9 pour les oeufs et 0,7 à 0,9 pour les fruits et légumes. Pour les aliments absorbant de l’eau à la cuisson ou la préparation, le poids sec est multiplié par 3 pour les pâtes, le riz, la semoule et les légumineuses (achetées sèches) ; 7 pour la purée lyophilisée et 10 pour le lait en poudre. Pour les aliments en conserve, le poids net égoutté est retenu et le facteur de conversion est de 1, comme pour la plupart des autres aliments. Dans ce cas, le poids distribué est donc égal au poids consommé.
Le conditionnement des produits doit également être pris en compte dans la constitution de paniers respectant le référentiel. Il serait, par exemple, impossible d’intégrer dans les dons une quantité de yaourts de 150 g, alors qu’ils sont conditionnés par packs de 125 g.
Le second modèle d’optimisation permet de générer des listes d’aliments à distribuer respectant les pourcentages pondéraux du référentiel issu du premier modèle d’optimisation. Il pourrait accompagner les associations dans la constitution de paniers équilibrés, en facilitant la prise en compte des stocks à disposition, du conditionnement des produits (comme les yaourts, conditionnés en pack) et de la conversion entre poids distribué et poids consommé. Ainsi, le tableau 1 propose des exemples concrets de dons d’une quinzaine de kilos respectant le nouveau référentiel, l’un pour la saison printemps/été et l’autre pour la saison automne/hiver. Deux autres exemples sont consultables en annexe 3.
Vers un outil de pilotage de l’approvisionnement ?
Comme mentionné précédemment, les denrées de l’aide alimentaire proviennent d’origines diverses. Leur composition n’est donc pas nécessairement conforme à l’équilibre souhaité, notamment quant à la part recommandée de fruits et légumes. Bien que les proportions des différentes catégories d’aliments dans les dons diffèrent de celles recommandées, les documenter et les suivre dans le temps permet d’identifier, en temps réel, les points forts à conserver et les points nécessitant une réorientation des approvisionnements. Ce suivi permet aussi de disposer d’arguments envers les donateurs pour favoriser le don de certains produits (comme les fruits et légumes) et limiter celui d’autres catégories (comme les produits gras et sucrés), afin d’améliorer l’équilibre global des dons.
Conclusion
Ce nouveau référentiel respecte les recommandations actuelles de consommation alimentaire ainsi que la couverture des apports recommandés en nutriments. L’expression de ce référentiel en dons de denrées telles que distribuées facilite sa mise en œuvre sur le terrain. Néanmoins, plusieurs freins peuvent entraver son application, comme une diffusion limitée auprès des associations ; des difficultés logistiques liées à la distribution de produits frais et périssables ; une dépendance aux dons reçus (des producteurs et distributeurs) qui ne permettent pas d’atteindre l’équilibre souhaité entre les catégories, etc.
Une solution pour pallier les difficultés d’approvisionnement en certains produits, afin de respecter le référentiel, serait de mutualiser les informations à l’échelle territoriale, nationale, ou au sein d’un réseau donné. Avoir une bonne connaissance des flux de dons et de leur nature permet d’en rendre compte aux donateurs et de faire des ajustements, afin de tendre vers la répartition du nouveau référentiel. Un objectif d’autant plus important que les bénéficiaires accèdent difficilement à certains groupes alimentaires en dehors du circuit de l’aide alimentaire, pour des raisons économiques. C’est notamment le cas des fruits et légumes (incluant surgelés et conserves), dont les niveaux de consommation sont très faibles chez les plus pauvres et les personnes en situation d’insécurité alimentaire.
Références
Lire sur Isuu
[1] Insee Première, n° 1907, juin 2022.
[2] Anses (2017), Étude individuelle nationale des consommations alimentaires 3 (INCA 3).