Accueil > Ressources > Policy briefs / So What ? > N°23 / Davantage de repas végétariens à la cantine pour concilier qualité (...)
– Nicole Darmon, INRAE, UMR MoISA, Montpellier, France
– Romane Poinsot, MS-Nutrition, Marseille, France
– Florent Vieux, MS-Nutrition, Marseille, France
– La réglementation actuelle relative à la restauration scolaire impose le service d’au moins une viande rouge non hachée et un repas végétarien par semaine.
– Dans un repas scolaire, le choix du plat servi comme « plat protidique » influence beaucoup l’impact environnemental du repas et peu sa qualité nutritionnelle. Les repas avec un « plat protidique » végétarien ont un impact négatif sur l’environnement bien moindre que ceux avec un « plat protidique » à base de poisson ou de viande.
– Servir 12 repas végétariens sur 20 (au lieu de 4 ou 5, minimum imposé par la réglementation actuelle), en alternant viande et poisson avec des « plats protidiques » végétariens, permettrait de réduire notablement les impacts environnementaux (baisse de 25 à 50 % des émissions de gaz à effet de serre notamment), tout en maintenant une bonne qualité nutritionnelle.
En France métropolitaine, environ 8,5 millions d’enfants déjeunent chaque semaine en restauration scolaire. La composition de ces repas est soumise au respect des règles imposées par l’arrêté et le décret n° 2011-1227 du 30 septembre 2011 « relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis dans le cadre de la restauration scolaire ». Ainsi, les repas servis aux enfants doivent contenir quatre ou cinq composantes (entrée et/ou dessert, plat dit « protidique », accompagnement, produit laitier). Ils doivent également respecter des règles de fréquence de service selon le type de plats. Ces fréquences sont exprimées pour 20 repas successifs. Les types de plats sont quant à eux définis selon : 1) la composante concernée (ex. : entrée), 2) la teneur en certaines catégories d’aliments (ex. : légumes), 3) la teneur en certains nutriments (ex. : lipides, calcium), 4) d’autres caractéristiques telles que cru/cuit, non haché/haché, etc.
L’ensemble [critère, fréquence associée] forme un « critère fréquentiel ». Rien n’est interdit. Pour autant, le service de certains plats est encouragé par une fréquence minimale. Ainsi, par exemple, les entrées de crudités, légumes ou fruits doivent être servies au moins 10 fois sur 20. À l’inverse, le service d’autres plats est limité par une fréquence maximale. C’est le cas, par exemple, des entrées contenant plus de 15 % de lipides, à proposer moins de 4 fois sur 20. Au total, la réglementation impose le respect de quinze critères fréquentiels dans une série de 20 repas successifs.
L’application de l’ensemble de ces règles garantit une très bonne qualité nutritionnelle à l’offre de repas à l’école primaire. Ces repas couvrent près de la moitié des niveaux recommandés par jour en nutriments protecteurs (fibres, vitamines, minéraux, etc.) et près du tiers des besoins énergétiques journaliers des enfants (Vieux et al., 2019).
La restauration scolaire a un rôle majeur à jouer vis-à-vis de nombreux enjeux : nutritionnels et de santé bien sûr, mais aussi éducationnels, culturels, économiques et environnementaux. Elle sensibilise les jeunes au goût et à l’équilibre alimentaire ; elle les initie au vivre ensemble et au patrimoine culinaire ; elle les encourage à la prévention du gaspillage et à la protection de l’environnement.
Elle peut aussi favoriser la transition vers des systèmes alimentaires plus durables : en pratiquant une tarification sociale, en structurant des filières locales d’approvisionnement, en proposant une offre alimentaire de moindre impact environnemental, etc. La loi EGalim, votée en 2018, a permis des évolutions en ce sens. Elle a notamment imposé le service de repas végétariens, c’est-à-dire sans viande ni poisson, au moins une fois par semaine (soit 4 à 5 repas sur 20). D’abord instaurée à titre expérimental, cette disposition a été pérennisée en 2021 par la loi « Climat et Résilience ». De son côté, le Conseil national de la restauration collective (CNRC) recommande cinq règles de fréquence spécifiques aux plats végétariens. Notamment, au maximum un plat végétarien sur cinq devrait être un « plat protidique transformé à base de protéines végétales ». Le service d’une diversité de plats végétariens permet de varier les apports nutritionnels (Poinsot et al., 2020). La composition des repas scolaires fait ainsi l’objet de vingt critères fréquentiels au total : les quinze imposés par le décret de 2011 plus les cinq spécifiques au service de plats végétariens recommandés par le CNRC.
Cependant, la volonté d’aller vers une restauration scolaire plus durable inscrite dans la loi EGalim pourrait entrer en contradiction avec certains des critères fréquentiels toujours imposés par la réglementation de 2011. Par exemple, le service de « viandes non hachées de bœuf, veau, agneau et abats de boucherie » (c’est-à-dire issues de ruminants et appelées aussi « viandes rouges »), est encouragé par une fréquence minimale de 4 fois sur 20. À l’inverse, le service de « plats protidiques » contenant de faibles quantités de viande/œuf/poisson (moins de 70 % du grammage recommandé) est découragé par une fréquence maximale de 4 fois sur 20. Ces critères fréquentiels visaient initialement à limiter le service de succédanés de viande de mauvaise qualité nutritionnelle, et elles y sont parvenues. Mais elles posent aujourd’hui problème compte tenu des impacts négatifs reconnus d’une consommation trop importante de viande rouge sur la santé et l’environnement. De plus, décourager le service de plats contenant de faibles quantités de produits animaux peut sembler incohérent avec la loi EGalim qui incite au service de repas végétariens.
La révision de la réglementation en matière de restauration scolaire apparaît donc nécessaire. Elle a été confiée au CNRC qui doit rendre ses conclusions à l’automne 2022. En vue d’éclairer la décision publique, une recherche a été menée pour identifier le meilleur compromis entre nutrition et environnement, en simulant plusieurs scénarios d’évolution de la réglementation sur la composition des repas scolaires (Poinsot et al., 2022a).
Les résultats de l’analyse concernant les repas montrent que le type de plat « protidique » a une influence importante sur l’environnement, notamment sur les émissions de gaz à effet de serre (EGES), et relativement faible sur la qualité nutritionnelle. Les repas comprenant de la viande ovine ou bovine sont les plus impactants du point de vue environnemental, alors que ceux sans viande ni poisson sont les moins impactants (Figure 1).
Concernant les séries de repas, servir quatre composantes plutôt que cinq impliquerait d’augmenter la taille des portions proposées, la teneur énergétique des repas étant sinon insuffisante pour certains enfants. Les résultats présentés dans la Figure 2 indiquent par ailleurs que :
– par rapport au scénario de référence, servir 20 repas végétariens sur 20 réduirait les impacts environnementaux (notamment, réduction de 61 % des EGES) mais diminuerait la qualité nutritionnelle (ANM = 88 %) ;
– servir 12 repas végétariens, 4 avec poisson et 4 avec viande rouge non hachée – ce qui est conforme à la réglementation actuelle – permettrait de réduire les impacts environnementaux (notamment, réduction de 25 % des EGES) en assurant une bonne qualité nutritionnelle (ANM = 94 %) ;
– servir 12 repas végétariens, 4 avec poisson et 4 avec viande blanche – ce qui n’est pas conforme à la réglementation actuelle – entraînerait une plus forte réduction des impacts environnementaux (notamment, réduction de 50 % des EGES) en maintenant une bonne qualité nutritionnelle (ANM = 94 %) ;
– servir 12 repas végétariens, 4 avec poisson et 4 avec viandes de différentes espèces – ce qui est non conforme à la réglementation actuelle – est intermédiaire entre les deux scénarios précédents sur le plan environnemental (réduction de 35 % des EGES), tout en maintenant une aussi bonne qualité nutritionnelle (ANM = 94 %).
Parmi l’ensemble des impacts environnementaux étudiés, seul l’épuisement des ressources en eau ne suit pas les mêmes tendances que les EGES, il est pour sa part moins influencé par le type de plat « protidique » (Figure 1) et par les différents scénarios.
Une première limite de cette étude est qu’il s’agit d’une approche théorique. Elle ne tient pas compte de certaines réalités de terrain telles que le gaspillage et son impact sur les apports nutritionnels des enfants, la capacité économique à mettre en place les séries simulées, l’adéquation gustative des associations entre plats, leur faisabilité technique, etc.
Une deuxième limite est due à l’imperfection des données utilisées. En effet, les valeurs d’ACV fournies par la base Agribalyse ne rendent pas compte de la totalité de la performance environnementale des aliments et ingrédients. En particulier, les aspects potentiellement favorables de l’élevage de ruminants, comme par exemple son rôle dans le maintien des prairies et des services écosystémiques que celles-ci rendent, ne sont pas pris en compte dans ces ACV. De même, cette évaluation environnementale ne tient pas compte du fait que les élevages de porcs et de volailles entrent en compétition avec l’alimentation humaine. En effet, ces animaux sont nourris avec des productions végétales qui pourraient être consommées par l’Homme, ce qui est moins le cas des bovins à l’herbe. C’est la raison pour laquelle le scénario avec des viandes d’espèces différentes a été testé. De plus, si 12 repas végétariens et 4 repas avec poisson sont servis, il semble logique d’autoriser une diversité de viandes pour les 4 repas restants, ce qui nécessite de modifier le critère fréquentiel imposant 4 repas avec viande rouge non hachée.
Les résultats d’une étude récente de l’Anses (Anses, 2021) indiquaient que le remplacement systématique du repas de midi par un repas végétarien dans l’alimentation consommée en moyenne par les enfants vivant en France métropolitaine ne modifierait pas le niveau de satisfaction des recommandations d’apports en nutriments. Cette étude en concluait qu’« il n’est donc pas pertinent de proposer une fréquence maximale de menus sans viande ni poisson » en restauration scolaire. Cependant, la simulation de l’Anses ayant été réalisée en partant de la consommation moyenne des enfants, elle ne permet pas d’évaluer l’impact nutritionnel qu’aurait la suppression totale de la viande et du poisson à l’école chez de nombreux enfants dont l’alimentation à domicile est déséquilibrée, notamment pour des raisons financières. En s’intéressant à la qualité nutritionnelle intrinsèque de la restauration scolaire, l’étude présentée ici observe qu’une fréquence de 12 repas végétariens sur 20 serait plus protectrice sur le plan nutritionnel qu’une restauration totalement végétarienne.
Cette étude est la seule connue des auteurs à avoir quantifié conjointement les impacts nutritionnels et environnementaux de différents scénarios de modification des critères fréquentiels appliqués à la restauration scolaire en France. Le scénario avec 12 repas végétariens, 4 avec poisson et 4 avec viandes de différentes espèces sur 20 repas pourrait représenter un bon compromis entre qualité nutritionnelle et protection de l’environnement. En proposant une diversité de viandes, ce scénario participe du principe de précaution compte tenu des controverses sur la supériorité environnementale de la production de viande de monogastriques (volaille, porc) par rapport à la production bovine. Sur le plan nutritionnel, il est important de rappeler que réduire la consommation de viande ne sera vraiment bénéfique que si celle-ci est remplacée par une diversité de produits végétaux de bonne densité nutritionnelle (à noter que cette diversité était assurée dans l’étude par le respect des critères fréquentiels). Ce scénario n’est cependant pas conforme à la réglementation en vigueur, dont la révision en cours par le CNRC est plus que jamais attendue.
Cette étude [1] a été réalisée en lien étroit avec un collectif de professionnels et de chercheurs (le collectif EnScol). Une base de données a été construite à partir des fiches techniques de 2 316 plats servis dans plusieurs écoles primaires de France métropolitaine (Poinsot et al., 2022b). Cette base de données comprend : 1) la taille de portion servie pour chacun de ces plats ; 2) leur composition nutritionnelle à partir de la table CIQUAL de l’Anses [2] ; 3) leurs impacts environnementaux (émissions de gaz à effet de serre (EGES), potentiel d’acidification sur les écosystèmes terrestre et d’eau douce, utilisation de l’eau et des ressources fossiles, eutrophisation d’eau douce et marine et usage des terres).
Au total, dix-huit scénarios d’évolution des règles de composition des repas scolaires ont été simulés, en actionnant, seuls ou en combinaison, quatre leviers relatifs à la composition des repas : 1) nombre de composantes du repas (quatre ou cinq), 2) respect des vingt critères fréquentiels (oui ou non), 3) fréquence des repas végétariens (0, 4, 8, 12, 16 ou 20 repas sur 20), 4) remplacement du critère imposant le service de 4 repas avec viande rouge non hachée par un critère imposant soit le service de 4 repas avec viande blanche (porc ou volaille) soit le service de repas avec une diversité de viandes (agneau, bœuf, volaille, porc) [3]. Pour chaque scénario, 100 séries de 20 repas successifs ont été générées. Au total, 36 000 repas ont été générés, dont 32 000 étaient des repas à cinq composantes.
Pour les séries de 20 repas générées selon les différents scénarios : elles ont été comparées entre elles et à un scénario de référence. La qualité nutritionnelle a été évaluée en calculant l’adéquation nutritionnelle moyenne (ANM) pour 2 000 kcal, et l’impact environnemental a été estimé par plusieurs indicateurs d’analyse de cycle de vie (ACV) de la base Agribalyse [4]. Le scénario comprenant 20 repas à cinq composantes respectant les 20 critères fréquentiels et incluant 4 repas végétariens a été défini comme scénario de référence. Son ANM était de 95 %.
Pour les 32 000 repas à cinq composantes générés par ces scénarios : une catégorisation selon le type de « plat protidique » qu’ils contenaient (agneau, viande bovine, porc, poisson, volaille, végétarien avec fromage, végétarien avec œuf et/ou produit laitier autre que du fromage, végétalien) a permis de comparer leur qualité nutritionnelle et leurs impacts environnementaux moyens.
– Nicole Darmon, directrice de recherche, INRAE, UMR MoISA, Montpellier, France
– Romane Poinsot, ingénieure-chercheuse en nutrition et science des aliments, MS-Nutrition, Marseille, France
– Florent Vieux, co-fondateur et chercheur chez MS-Nutrition, Marseille, France
Vieux F., Dubois C., Duchêne C., Darmon N. 2019. Implications nutritionnelles des directives françaises sur l’offre alimentaire en restauration scolaire et place des plats protidiques. Cahiers de Nutrition et de Diététique, 54(1), 22-34.
Poinsot R., et al. on behalf of the EnScol network. 2020. Nutritional quality of vegetarian and non-vegetarian dishes at school : are nutrient profiling systems sufficiently informative ? Nutrients, 12, 2256.
Poinsot R., Vieux F., Maillot M., Darmon N. 2022a. Number of meal components, nutritional guidelines, vegetarian meals, avoiding ruminant meat : what is the best trade-off for improving school meal sustainability ? European Journal of Nutrition, 61, 3003-3018.
Poinsot R., et al. Collectif Enscol, 2022b. Composition nutritionnelle et impacts environnementaux de plats servis en restauration scolaire en France, https://doi.org/10.15454/YRD4JC, Recherche Data Gouv, V1.
Anses. 2021. Rapport d’appui scientifique et technique relatif aux fréquences alimentaires recommandées en restauration scolaire dans le cadre de l’expérimentation du menu végétarien (saisine 2020-SA-0101). Maisons-Alfort : Anses, 47 p.
[1] Étude consultable en ligne : https://rdcu.be/cJM8O
[2] Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation. La base CIQUAL est disponible ici : ciqual.anses.fr
[3] Ce dernier scénario a été réalisé spécifiquement pour la présente publication.
[4] agribalyse.ademe.fr