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LieU’topie, une association de gouvernance participative 

Marylène Lirvat

MOTS-CLÉS : ÉPICERIE SOLIDAIRE, ACTIONS MILITANTES ET CITOYENNES, DÉMOCRATIE ALIMENTAIRE, JUSTICE SOCIALE, PARTICIPATION

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LieU’topie est une association porteuse de nombreuses initiatives solidaires en réponse aux besoins des étudiants de Clermont-Ferrand. LieU’topie mène notamment des activités contribuant à la création de liens et de mixité sociale, et à la lutte contre la précarité alimentaire des jeunes, tout en sensibilisant les bénéficiaires à l’alimentation durable. Cette synthèse dresse le panorama d’une sélection d’initiatives luttant contre la précarité alimentaire des jeunes. On s’intéressera aux spécificités du fonctionnement de LieU’topie, à travers son modèle économique et son mode de gouvernance, ce qui permettra d’évaluer quel changement d’échelle est envisageable.

PRÉCARITÉ ÉCONOMIQUE ET ALIMENTAIRE DES ÉTUDIANT·E·S

Le coût de la vie étudiante connaît une augmentation constante depuis près de dix ans et en particulier entre 2009 et 2012. Ce contexte entraîne tous les ans de plus en plus d’étudiant.e.s vers une situation de précarité. Ainsi, en 2015, d’après la Fédération des associations générales étudiantes (Fage), 23 % des étudiant.e.s considéraient avoir des difficultés financières.

Les épiceries solidaires

En 2015, le rapport sur le plan de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, édité par l’inspection générale des affaires sociales, constatait qu’environ 20 % des étudiant.e.s vivaient en des-sous du seuil de pauvreté. En 2015, 681 078 étudiant.e.s (sur 2,5 millions recensés par l’Insee) prétendaient aux bourses sur critères sociaux. Lorsque l’on ramène ce chiffre à la totalité des allocations financières directes accordées à l’en-semble des étudiant.e.s (bourses sur critères sociaux, bourses au mérite, aides ponctuelles, etc.), 36,3 % d’entre eux étaient concernés. Pourtant, les syndicats étudiants ne considèrent pas ces solutions comme satisfaisantes. La majorité des étudiant.e.s ne peuvent prétendre à ces aides financières, alors que le coût de la vie augmente pour tous.te.s, qu’ils / elles soient boursier.e.s ou non. Les syndicats étudiants sou-lignaient également qu’un tiers des étudiant.e.s déclaraient avoir déjà renoncé à des soins de santé. Pour 11,9 % d’entre eux, la raison en était le manque de moyens financiers.

De plus, en 2017, d’après la Fage, 65 % des étudiant.e.s « sautaient » régulièrement un repas par semaine, faute d’argent. Et ce, malgré le fait que près de la moitié des jeunes travaillent pendant leur année universitaire et/ou bénéficient d’aides sociales. Pour en finir avec la précarité alimentaire des étudiant.e.s, la Fage réclame la mise en place d’épiceries solidaires, comme les AGORAés.

En France, de nombreuses épiceries solidaires se sont développées. L’AGORAé est un espace d’échanges et de solidarité qui se compose d’un lieu de vie ouvert à tous.te.s et d’une épicerie solidaire accessible sur critères sociaux. Porté et géré par des étudiant.e.s pour des étudiant.e.s, l’AGORAé est un lieu non stigmatisant par objectif mais il l’est, de fait, par son public ciblé : les étudiants en situation précaire. Il œuvre pour l’égalité des chances d’accès et de réussite dans l’enseignement supérieur. Les AGORAé sont des épiceries associatives solidaires qui s’adressent aux étudiant.e.s en situation précaire. Implantées sur quinze campus de France métropolitaine, elles proposent des produits alimentaires, d’hygiène et d’entretien vendus 80 à 90 % moins cher qu’en grande distribution. Les AGORAé sont soutenues par la Fondation Macif. D’autres épiceries associatives solidaires ont « bourgeonné » sur l’ensemble de la France. Ces initiatives ont pu être créées par des étudiant.e.s, en lien avec des associations caritatives, leur université et/ou des fournisseurs locaux. C’est le cas de l’épicerie solidaire au sein de la faculté de Rennes 2. Cette épicerie, qui est ouverte à tous.te.s, ne demande aucun justificatif et propose gratuitement des produits alimentaires. Cette initiative a débuté en janvier 2019 et « ne demande qu’à faire ses preuves » en termes d’efficience et de durabilité. D’autres épiceries solidaires sont contrôlées par des institutions publiques comme le Crous. C’est le cas de nombreuses associations, comme l’association générale des étudiant.e.s de Paris. En plus d’un justificatif, les étudiant.e.s doivent constituer plu-sieurs dossiers, comme une demande d’accès à renouveler tous les cinq mois.

Quant à l’épicerie solidaire étudiante en partenariat avec l’université du Mans et le Crous, elle organise une collecte auprès du personnel et des étudiant.e.s de l’université, en faveur des étudiant.e.s bénéficiaires de l’épicerie solidaire étudiante. Elle est également accessible sur critères sociaux. À Clermont-Ferrand, l’épicerie solidaire ESOP63, propose des produits alimentaires et d’hygiène à prix réduit. Elle est gérée par la banque alimentaire d’Auvergne et fonctionne sur la base de conditions d’accès et d’une charte que les bénéficiaires s’engagent à suivre. À Valence, un dispositif de la Croix-Rouge vend des produits alimentaires à prix réduit accessibles à tous.te.s. L’épicerie solidaire propose aussi des paniers équilibrés et complets, destinés aux étudiant.e.s. Les paniers sont vendus 5 € pour une valeur de 50 €.

Toutes ces épiceries solidaires ont donc des fonctionnements différents. La plupart bénéficient à de nombreux étudiant.e.s. Cependant, elles peuvent aussi manquer d’efficience en laissant un bon nombre d’étudiant.e.s en marge car ils ne répondent pas aux critères de sélection. Cela interroge sur le fait que des structures d’aide alimentaire, souvent soutenues par l’État, puissent faire de la sélection sur un sujet qui relève du droit humain : l’alimentation.

À travers les différentes épiceries solidaires présentées précédemment, on observe plu-sieurs modes de gouvernance et donc des formes variables de démocratie : une gouvernance organisée ou partagée entre des partenaires privés ou publics, ou une gouvernance par les bénéficiaires eux-mêmes.

Les limites : gouvernance des dispositifs de solidarité et répartition du pouvoir

Les étudiant.e.s bénéficiaires des épiceries solidaires semblent ne pas toujours être au cœur de la gouvernance de ces structures. La relation solidaire producteur/consommateur est peu pré-sente, notamment lors des achats. En effet, une majorité des épiceries solidaires étudiantes distribuent des invendus, souvent des denrées (ultra) transformées. Cet acte est un excellent moyen pour les grandes et moyennes surfaces (GMS) de valoriser leurs « pertes », sans chercher à améliorer la gestion de leurs stocks et approvisionnements, en vue de plus de durabilité. La plupart du temps, les épiceries solidaires étudiantes sont accessibles sur critères sociaux. Ces épiceries ne parviennent pas à atteindre tous les étudiants dans le besoin, car ceux qui ne correspondent pas aux critères de sélection pour bénéficier des aides restent en marge.

En somme, la précarité ne se limite pas à une difficulté d’accès à l’alimentation. Elle comprend aussi un problème de répartition de pouvoir et donc de gouvernance au sein des dispositifs de solidarité. À ce titre, la participation des acteurs publics peut prendre des niveaux différents de gouvernance « imposée » ou « partagée », qu’elle soit locale, régionale, nationale ou internationale.

Le concept de démocratie alimentaire, défini par Tim Lang en 1998, a le mérite de poser à la fois les questions de justice à travers l’accès, la participation et le pouvoir d’agir, et les questions de citoyenneté, et ce pour l’ensemble des acteurs du système alimentaire (producteurs, transformateurs, distributeurs, consommateurs, etc.). La démocratie est un système de gouvernance qui permet, entre autres, l’expression de modes de vie différents tout en laissant aux citoyen.ne.s la possibilité de choisir la manière dont ils / elles interagissent. Dans « Food control or food democracy », T. Lang explique que la démocratie alimentaire vise à remplacer le rôle de l’État dans la régulation du marché agroalimentaire afin d’éviter une emprise trop importante des industries agroalimentaires (Lang, 1998). Il pense qu’il ne faut pas contraindre davantage le marché, mais qu’il faut plutôt démocratiser le système alimentaire en permettant la création de contrepouvoirs du côté de la société civile. Cette idée a été concrétisée par l’apparition de nombreuses initiatives alternatives locales. Deux approches complémentaires se développent à partir de cette définition. Une première, développée dans les articles de N. Hamilton aux États-Unis (2005), F. Collart-Dutilleul et V. Pironon (2012) en France, et O. de Schutter (2012), ancien Rapporteur pour le droit à l’alimentation à l’ONU, fait référence à des notions de droit. Une deuxième approche, celle de N. Hassanein (2003), présente la démocratie alimentaire comme un moyen d’action collective à disposition de la société et des mouvements sociaux (Both et al., 2018).

Le processus de démocratisation, qui contribue à rendre l’alimentation accessible à tous.te.s, transforme le consommateur en « food citizen » (Booth and Coveney, 2015) par le biais de l’action collective. Pourtant, le « consom’acteur » agit souvent dans une démarche individuelle, responsabilisante, certes, mais pas forcément en lien avec un engagement collectif, voire politique. Néanmoins, dans le fonctionnement de certaines associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) ou de certains supermarchés coopératifs et solidaires, on peut constater que les bénéficiaires peuvent aussi être décisionnaires concernant le mode d’approvisionnement des denrées et/ou des produits sélectionnés pour la vente, et prendre part à la gouvernance. Ces démarches de consommation alternative et collaborative permettent ainsi aux consommateurs d’investir de nouveaux espaces de décision en amont des systèmes alimentaires. Dans le cas des AMAP, il existe un engagement contractuel entre les « amapien.e.s » et les petits producteurs. Les figures du consommateur et du citoyen se veulent non pas disjointes ou opposées, mais au contraire articulées autour d’une citoyenneté économique qui participe à la gouvernance des systèmes alimentaires. Cette gouvernance peut être envisagée au niveau du territoire, comme c’est souvent le cas, ou à un niveau plus global, ce qui est plus rare (Clarke et al., 2007). Le lien entre consommateurs et/ou producteurs, dans une perspective d’éducation populaire aux questions agricoles, alimentaires et culinaires, peut mener à la capacitation des acteurs (empowerment).

CARACTÈRE INNOVANT DE LIEU’TOPIE

LieU’topie est une association étudiante solidaire clermontoise créée en 2013 par des étudiant.e.s dans le cadre d’un projet universitaire (Figure 1). Sarah Valroff et Mathieu Adenot sont actuellement les co-président.e.s et étudiant.e.s qui gèrent l’association au quotidien. Depuis la rentrée scolaire 2018, l’association bénéficie de l’énergie de deux personnes en service civique en plus de la salariée, afin d’assurer le bon fonctionnement du lieu. Cette structure de l’économie sociale et solidaire (ESS) anime un lieu de vie ouvert à tous.tes, culturel et solidaire, où il est possible de venir discuter autour d’un café et de participer à des animations diversifiées : théâtre, atelier de cuisine, fabrication de produits d’hygiène, concert, etc. On trouve au sein de l’association : un espace épicerie solidaire proposant des produits secs 20 % moins cher que dans le commerce, une cagette d’invendus (à prix libre), une cuisine équipée et un lave-linge (usage à prix libre), un bar ainsi qu’un espace de détente. En 2018, LieU’topie comptait cinq cents adhérent.e.s, dont une infime partie participait aux assemblées générales (AG) et aux conseils d’administration (CA). Le nombre d’adhérent.e.s fluctue d’une année à l’autre, en s’alignant sur une année universitaire. En 2017, ils étaient sept cents adhérent.e.s. Le fonctionnement de l’association est basé sur des financements hybrides. L’autofinancement assure 33 % du fonctionnement grâce au « café solidaire », aux adhésions (dès 3 € / personne / an), aux prix libres et aux prestations de buffet lors d’événements ponctuels. Les 66 % restant correspondent aux financements publics via les subventions de la ville de Clermont-Ferrand et de Clermont Auvergne Métropole. Ces subventions publiques permettent l’entretien des locaux, des équipements, ainsi que la rémunération de l’employée de l’association. LieU’topie est soutenue par l’université Clermont Auvergne (UCA), qui apporte une plus grande visibilité de l’association auprès des étudiant.e.s.

Activités concrètes

Le projet LieU’topie consiste, en premier lieu, à répondre aux besoins des étudiant.e.s. L’enjeu principal de l’association est de permettre aux adhérent.e.s de se réapproprier leur pouvoir citoyen, notamment au travers du principe de démocratie alimentaire. LieU’topie tend à répondre à cet enjeu au travers de sept pôles d’activité. Chaque pôle est géré par un responsable, nécessairement adhérent de l’association, et les activités proposées au sein de LieU’topie sont issues des réflexions et des envies des bénéficiaires. Les sept pôles d’activités sont :
→ « Épicerie solidaire » : faire travailler le territoire et sensibiliser les étudiant.e.s au « mieux consommer », au « manger local », et contribuer à faire émerger une réelle conscience de « consom’acteur » auprès des étudiant.e.s.
→ « Alimentation » : des potagers partagés (PoPart) destinés aux étudiant.e.s, gratuits et en libres accès ; des « SSU [1] pers paniers » consistant en des commandes et réceptions de paniers de légumes (de saison, à 6 ou 10 €), une semaine à l’avance, auprès de l’épicerie Max et Lucie qui s’approvisionne auprès de petits agriculteurs locaux, avec six points de livraisons différents ; des ateliers de cuisine ; une cuisine équipée ouverte ; des cagettes de fruits et légumes invendus distribuées par le magasin Bio « l’Eau vive » et l’association « Tous au verger » qui récupère les fruits de vergers inexploités. Des buffets ou apéritifs peuvent être préparés lors d’ateliers de cuisine, pour lesquels les invendus (Figure 2) sont utilisés comme matières premières et transformés en mets appétissants et savoureux. Ces préparations peuvent être servies et vendues lors d’événements. Les contributions des adhérents aux buffets et apéritifs participent à l’auto-financement de l’association.

→ « Do It Yourself » : ateliers pour réfléchir à sa propre consommation (durable et responsable) et fabriquer soi-même des produits de consommation du quotidien avec des matières premières brutes.
→ « Culturel » : programmation mensuelle de spectacles de théâtre, d’apéritifs, d’ateliers de sophrologie et de relaxation, des soirées « jeux de sociétés », des concerts, des débats, etc.
→ « Café solidaire » : espace de détente et de discussion via des conférences et des débats, il propose des produits issus de l’agriculture biologique, éthique et/ou locaux.
→ « Germoir de projets » : séances de partage d’idées du réseau d’acteurs de LieU’topie, création de liens socioprofessionnels.
→ « Administratif et financier » : activités « services, matériels & conseils » ; aides à la constitution de dossiers (demande de bourse) ; mise à disposition d’équipement nécessaire au bien vivre (cuisinière, four, lave-linge, etc.).

Chacun de ces pôles parvient à atteindre un ou plusieurs des objectifs finaux de l’association qui sont de : contribuer à répondre aux besoins des étudiant.e.s ; permettre un accès au plus grand nombre d’étudiant.e.s à une alimentation abordable, responsable et de bonne qualité sanitaire et nutritive ; impliquer des acteurs locaux (producteurs, transformateurs, commerçants, etc.) ; sensibiliser les étudiant.e.s à la consommation alimentaire et non alimentaire « responsable et durable » et créer du lien social (inclusion sociale). Les bénéficiaires peuvent participer à la vie de l’association en tenant une permanence au comptoir du café, en participant à l’organisation de l’un des pôles, voire en rentrant au CA de l’association, en développant leur propre projet au sein de l’association ou en donnant un « coup de main » ponctuel sur un événement. Les achats faits dans l’association peuvent être réglés avec la « doum ». C’est une monnaie locale en faveur d’une production, d’une distribution et d’une consommation de biens et de services de proximité, de qualité et respectueuses des humains et de la nature. Cependant, la « doum » est très peu utilisée par les étudiant.e.s de l’association. L’association quant à elle, réfléchit à utiliser la « doum » pour les approvisionnements du café solidaire et de l’épicerie.

À LieU’topie, on observe la socialisation des bénéficiaires à travers l’utilisation partagée de la cuisine, du lave-linge et la participation à tous les ateliers proposés. Par exemple, les bénéficiaires de LieU’topie peuvent participer à des ateliers ou proposer des animations appelées « Hors les murs », qui se déroulent à l’extérieur de l’association, permettant ainsi la rencontre avec d’autres associations ou encore de toucher un nouveau public.

Bien que l’association parvienne à créer une forme de mixité sociale, elle peine à faire participer bénévolement les bénéficiaires au fonctionne-ment de l’association. Le manque de volontarisme au sein des adhérents se répercute sur le fonctionnement de l’association.

C’est d’ailleurs certainement le manque de bénévoles qui a encouragé le CA à recruter deux personnes en service civique. La volonté de l’association est de faire prendre conscience aux adhérents, du bienfait de l’adoption d’un comportement universaliste qui apporte plaisir, bien-être et développement personnel.

La gouvernance et l’implication des bénévoles

À LieU’topie, les étudiants sont au cœur de la gouvernance. Le CA est composé de deux co-présidents (dont l’un s’apprête à quitter l’association), d’étudiants bénévoles (douze) et de deux volontaires en service civique. L’association essaie d’intégrer les bénévoles les plus actifs en les invitant au CA, en les impliquant dans des demandes de subventions et en les faisant participer aux réunions. Pour trouver de nouveaux adhérent.e.s, certains bénévoles font des interventions dans les amphithéâtres des facultés où ils présentent l’association. En revanche, il n’y a pas d’actions mises en œuvre pour encourager les adhérent.e.s à devenir des bénévoles actif.ve.s, en dehors des repas mensuels entre membres du CA, qui ont pour but de renforcer le sentiment d’appartenance. « La condition de contribution relève plu-tôt de l’engagement moral, et l’association n’est pas dans une logique d’obligation, de contrôle ni de sanction. Cela demanderait un travail supplémentaire de surveillance et serait incompatible avec la notion de volontariat » explique le co- président (Adenot, 2018).

C’est également la contribution basée sur le volontariat qui fait défaut à l’association. En effet, sur les cinq cents adhérent.e.s, peu s’investissent dans la vie de l’association. Comme l’expliquait Hassanein, « la réalité pour l’organisateur est que les gens choisiront de participer de manière particulière » (Hassanein, 2003). Il se peut que LieU’topie ait besoin de réfléchir, avec ses bénéficiaires, à une façon plus efficace de les inciter à contribuer à la vie de l’association. Pour ce faire, l’association pourrait organiser des moments d’échanges et de réflexion (plus informels que l’assemblée générale) entre les membres du CA et les bénéficiaires de l’association, sur leurs attentes et contributions. Par exemple, un magasin coopératif et participatif s’est ouvert à Clermont-Ferrand il y a quelques mois : La Coop des Dômes. Ce magasin est à but non lucratif et à gestion démocratique, il appartient à ses membres qui en sont les seuls propriétaires et les seuls décisionnaires. Pour faire leurs courses, les coopérateurs.trices adhèrent à l’association et contribuent bénévolement à raison de 2 heures 30 / mois. LieU’topie pourrait prendre exemple sur ce fonctionnement pour renforcer l’implication de ses adhérents.

À LieU’topie, la gestion est aussi démocratique, pour autant les bénéficiaires ne s’impliquent pas davantage. La gestion démocratique s’effectue par le biais d’une communication ouverte et d’échanges dynamiques entre les bénéficiaires et les membres du CA. Ces temps de communication et d’échanges sont organisés autour d’AG et de CA, auxquels tous ceux qui sont impliqués dans l’association peuvent participer. « À LieU’topie, la liberté d’expression est largement présente et respectée », indique la co-présidente (Valroff, 2018). L’association se veut bienveillante et respectueuse des idées de chacun. En AG, l’idée est de faire venir toute personne intéressée par le lieu et son orientation politique, pour l’année à venir. Comme l’explique la co-présidente de l’association : « Le problème qui persiste est le manque de mobilisation de la part des gens, qui est certaine-ment dû à un manque de culture sur l’associatif. Les gens ne connaissent pas forcément les codes des associations et le fait que l’AG soit importante dans la gouvernance. En CA, la liberté d’expression est présente et varie en fonction des personnalités présentes, des caractères, des individus, de leur place dans l’association (ex : co-président, représentant d’un pôle, adhérent.e.s), c’est-à-dire que certains ont des connaissances que d’autres n’ont pas. À ce moment, les individus peuvent très bien être ouverts et partager leurs connaissances ou les garder pour eux-mêmes comme une sorte de pouvoir » (Valroff, 2018).

Le manque de bénévoles peut tout aussi bien résulter du manque de sensibilisation des individus à la culture associative que du fait que les étudiants soient très pris par leur emploi du temps. À cela s’ajoutent d’autres préoccupations urgentes, comme les difficultés financières et/ou matérielles. Aussi, il peut être compliqué pour certains d’entre eux de s’impliquer rigoureusement dans la vie de l’association et de multiplier les efforts pour honorer leurs engagements associatifs.

« L’association n’a pas de position dans un parti politique et ne se fige pas dans un courant de pensée. La seule volonté de l’association est de rester un espace bienveillant qui permette à chacun de s’exprimer librement », rapporte la co- présidente (Valroff, 2018). En effet, « l’intérêt est de comprendre pourquoi le voisin n’est pas d’accord, et à partir de là, générer un débat et libérer la parole. Que des avis différents se confrontent ou se rejoignent peut amener les personnes à avoir une autre construction de pensée et de critique de leur pensée. C’est aussi au travers de ces actions que les bénéficiaires appréhendent le fait de devenir citoyen, et acquièrent leur propre façon de penser. C’est ce qui fait la force du lieu » (Valroff, 2018 ; Adenot, 2018).

Le co-président a réfléchi à une façon de conscientiser les adhérent.e.s à agir bénévole-ment, en repensant la finalité du travail et les différentes formes qu’il peut prendre. L’idée serait de proposer aux adhérent.e.s venus laver leur linge d’effectuer leur permanence pendant la durée du cycle de la machine à laver afin d’optimiser leur temps de présence et de rendre un service à l’association. Ceci permettrait également de sensibiliser les bénéficiaires à l’aspect partici-patif et collaboratif de l’association. De plus, cela allégerait le travail réalisé par les co-présidents, qui sont très polyvalents donc très sollicités et parfois un peu épuisés.

MISE EN PERSPECTIVE DE CETTE INNOVATION, RECUL CRITIQUE

Une gouvernance participative et inclusive en faveur d’une implication bénévole plus importante

Quelle(s) collaboration(s) possible(s) de LieU’topie avec d’autres associations ? En dépit de la configuration des universités de Clermont-Ferrand, qui ne permet pas d’avoir un campus unique regroupant les filières d’enseignements, LieU’topie parvient à rassembler des étudiants de formations diverses. L’association est située sur le site Gergovia, où se trouve l’unité de formation et de recherche (UFR) Lettres, Cultures et Sciences Humaines. L’association est à proximité des facultés de Droit, de Langues, des écoles de commerce, d’architecture et des Beaux-Arts. À LieU’topie, une diversité de genres fait surface. En effet, la communauté « lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) » est représentée au sein de l’association, notamment grâce au collectif « Femmes de mars », labellisé par LieU’topie. Le collectif propose des actions autour des droits des femmes, ainsi que des conférences, expositions, ateliers, rencontres, mais aussi du théâtre, des concerts et interventions : autant de rendez-vous destinés à la réflexion et à l’action collective.

Au vu des difficultés rencontrées par l’as-sociation pour impliquer davantage ses adhérents, il lui faudra fournir d’autant plus d’efforts pour construire une ou des collaborations avec d’autres associations. Il serait cependant dans l’intérêt de l’association de développer son réseau de partenaires associatifs, toujours dans l’idée de répondre au mieux aux attentes des bénéficiaires et d’atteindre ses objectifs.

Par exemple, les jardins potagers partagés situés près du site universitaire des Cézeaux, où se trouvent quatre UFR différentes, quatre écoles et institutions d’études supérieures, pourraient constituer une piste de partenariat. En effet, ces jardins ne sont à ce jour pas utilisés par les étudiant.e.s, ni les adhérent.e.s de LieU’topie. C’est ce qu’explique B. Fumanal, responsable du PoPart, président-fondateur de l’association des naturalistes d’Auvergne (ADNA), enseignant-chercheur en écologie à l’UCA et responsable de la Licence professionnelle « Agriculture biologique conseil et développement ». Comme LieU’topie, le PoPart fait partie du réseau des espaces partagés de la ville de Clermont-Ferrand, pour autant il semble que les utilisateurs-jardiniers qui résident près du PoPart soient plus âgés que la moyenne des étudiant.e.s. Ils représentent une douzaine de personnes. Le terrain étant loin de l’emplacement de LieU’topie, l’accès y est difficile pour organiser des ateliers (de sensibilisation), rencontres et autres animations. Il pourrait être intéressant pour LieU’topie de se rapprocher du responsable du PoPart pour trouver ensemble une façon efficace d’intéresser davantage les étudiant.e.s et adhérent.e.s de LieU’topie au fonctionnement de ces jardins partagés. Et ce d’autant plus que « le PoPart et LieU’topie se côtoient par moment sur certains projets sans forcément se connaître » explique le responsable du PoPart (Fumanal, 2018). Le concept initial du PoPart est l’appropriation de terres non utilisées, afin de rapprocher le campus de la ville, et de créer des échanges intergénérationnels. Le PoPart possède des installations qui peuvent servir à éduquer et à responsabiliser, telles qu’une mare, des carrés botaniques, des nichoirs et des hôtels à insectes pour les visites d’élèves des écoles primaires, d’étudiant.e.s et de citoyens. D’un point de vue social, « les effets du PoPart sont difficilement analysables, étant donné que les jardinièr.e.s s’y rendent sans nécessairement se croiser » (Fumanal, 2018). LieU’topie anime par ailleurs des sessions appelées « Hors les murs », au cours desquelles les adhérent.e.s peuvent participer à une activité menée dans une autre association, offrant ainsi la possibilité de rencontrer d’autres personnes que les membres de LieU’topie.

L’association a déjà initié des événements en commun avec d’autres associations, comme avec Le Café lecture des Augustes, créé en 1995, qui est une structure de l’ESS. C’est un lieu ouvert, convivial, vivant et accessible à tou.te.s. qui favorise les mixités sociales, générationnelles et culturelles. Les interactions avec le PoPart pourraient être du même type. LieU’topie s’oppose à la concurrence entre les associations étudiantes. Bien que Lieu’topie soit en contact avec de multiples associations étudiantes au travers du collectif « Femme de mars », l’association peine à créer des alliances avec d’autres associations étudiantes, qui ont bien souvent une vision du monde associatif et des valeurs très éloignées de celles de LieU’topie. L’association aurait alors peut-être intérêt à se rapprocher des structures aux valeurs de l’ESS.

CONCLUSION

Quelles sont les perspectives d’avenir du modèle de LieU’topie à Clermont-Ferrand ? Le modèle de l’association pourrait certainement être repris dans une autre ville / métropole, mais pas reproductible dans Clermont-Ferrand même. En effet, un projet identique solliciterait les mêmes subventions que LieU’topie et lui ferait probablement ombrage ou concurrence. D’autant plus que l’association montre une forte dépendance financière par rapport aux subventions, qui sont par ailleurs très aléatoires et volatiles d’une année sur l’autre. Cette dépendance aux subventions ne permet pas à l’association d’avoir une vision claire et sereine de l’avenir. Ceci devrait être une raison suffisante pour s’allier à d’autres associations / structures partageant les mêmes valeurs et ne souhaitant pas que l’État fasse « main basse » sur leur gouvernance.

Auteur : Marylène Lirvat


[1Service de santé universitaire.