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La plupart des diagnostics territoriaux de précarité alimentaire reposent sur l’étude de la fréquentation de l’aide alimentaire. Ainsi, ils observent la précarité par le biais des mécanismes mis en place pour y répondre. Cela comporte plusieurs limites, notamment celle de laisser de côté les personnes qui n’y ont pas recours.
L’objectif du webinaire, co-organisé par le réseau Civam, la Chaire UNESCO Alimentations du monde et Action Contre la Faim le 30 novembre 2023, était de de se donner d’autres leviers pour appréhender la précarité alimentaire sur un territoire. Les échanges se sont déroulés en quatre temps :
Le contexte post-covid a révélé et aggravé un certain nombre de situations de précarité alimentaire. Beaucoup d’organisations travaillant sur ces questions, qui souhaitaient comprendre le phénomène, se sont heurtés à une absence de données. Les seules informations disponibles à l’échelle locale concernent généralement le nombre de personnes ayant recours à l’aide alimentaire, via le circuit classique. Or, on sait que près de la moitié des personnes en situation de précarité alimentaire ne se rendent pas dans les associations. Par ailleurs, ces chiffres ne disent rien des déterminants et causes de la précarité.
L’objectif d’Obsoalim34 ? Calculer un score de risque de précarité alimentaire et le matérialiser par une cartographie. En superposant la carte des risques de précarité alimentaire à celle des points d’accès à l’aide alimentaire, l’outil permet de rendre compte des disparités territoriales entre offre et demande. La méthodologie repose à la fois sur la multidimensionnalité (aller au-delà des seules contraintes économiques des personnes en situation de précarité alimentaire, pour y intégrer les enjeux d’isolement social, d’environnement alimentaire, d’information alimentaire, etc), l’approche territoriale et la reproductibilité de l’outil (en utilisant des données en libre accès, d’autres territoires que l’Hérault pourront en bénéficier). Cet outil, qui cartographie les risques, se veut la première étape d’un diagnostic plus poussé, à mener sur le terrain par les acteurs de la lutte contre la précarité alimentaire. Il sera opérationnel début 2024.
De façon contre-intuitive (et à l’inverse d’autres situations observées en France, comme à Paris), le taux d’enfants fréquentant les cantines scolaires montpelliéraines est plus élevé dans les zones où vivent les familles les plus riches. Comment l’expliquer ? La tarification sociale peut-elle inverser la tendance ? C’est pour donner des éléments de réponse à ces questions que la Chaire a participé à une étude auprès de 136 écoles maternelles et élémentaires de la ville, entre 2021 et 2023.
La fréquentation de la cantine par les familles les plus modestes est corrélée à la fois aux situations professionnelles des parents (s’ils ne travaillent pas ou travaillent à domicile, ils privilégient la préparation des déjeuners de leurs enfants à la maison) mais aussi à des critères culturels et religieux (la présence ou non de repas végétariens ou hallal à la cantine conditionne la fréquentation). Ainsi, le changement de la tarification sociale (avec des prix planchers pour les familles désormais à 0,50 € par repas, contre 1,75 € auparavant) n’a pas sensiblement favorisé la fréquentation de la cantine, notamment dans les quartiers les plus modestes (entre 1 et 10% de hausse en moyenne) ; faisant de cette tarification un instrument nécessaire mais insuffisant à lui seul, si l’on souhaite améliorer l’accès à la cantine des enfants de familles à faibles revenus. L’étude a aussi montré que d’autres types de mesures ambitieuses, comme celles réalisées dans le cadre du programme « Ma cantine autrement » (podcast à écouter ici) ont été plus efficaces : sensibilisation au goût, à la lutte contre le gaspillage, formations du personnel de la restauration scolaire, introduction de produits bio et locaux, etc….
Face aux limites des données existantes en termes de précarité alimentaire (populations non inclues dans les statistiques générales, phénomène du non recours à l’aide alimentaire, etc), la démarche de l’aller-vers » consiste à approfondir ces données, en identifiant non seulement des indicateurs plus pertinents mais aussi des personnes vivant en dehors des radars sociaux. Barrières d’accès à l’alimentation spécifiques à tel ou tel public, ressenti, attentes et stratégies d’adaptation des personnes en situation de précarité alimentaire…Via des enquêtes qualitatives menées par des bénévoles formés, Action Contre la Faim expérimente cette démarche, que ce soit dans des accueils de jour pour personnes exilées en région parisienne ou dans des squats à Marseille. Forte de cette expérience, l’organisation identifie plusieurs points de vigilance et questions à se poser. Quel est l’objectif de collecter ces données ? (on ne sollicite pas des personnes sans identifier le but du diagnostic). Comment répondre aux besoins exprimés par des personnes en situation d’urgence et de détresse ? Comment garantir leur confidentialité ? Comment les inclure dans une réflexion collective sur la démocratie alimentaire ?
Quid de l’anonymat des personnes en situation de précarité alimentaire dans les très petites communes ? Comment faire le lien entre les diagnostics de précarité alimentaire et les agriculteurs sur un territoire ? Quel est le rôle des PAT dans ce lien ? Comment aller au-delà des préjugés des élus locaux sur la précarité alimentaire ? Comment proposer une aide aux publics identifiés, dans un contexte d’inflation et de saturation des dispositifs classiques de l’aide alimentaire ? Quel est le poids de la contrainte économique dans la précarité alimentaire ? Autant de questions traitées pendant la dernière partie du séminaire.
Visionnez ci-dessous le replay.