Accueil > Ressources > Parcours thématique > Introduction - L’alimentation dans toutes ses dimensions
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Cet ouvrage que nous vous proposons vient ponctuer (et fêter) dix années d’existence de la Chaire Unesco Alimentations du monde, créée en 2011 par le professeur Jean-Louis Rastoin (Montpellier SupAgro) avec un groupe pluridisciplinaire d’enseignants et chercheurs de différentes institutions1 du campus Agropolis à Montpellier. En ce sens, cet ouvrage constitue une étape importante : son écriture a fait l’objet d’un processus réflexif sur nos travaux, comme une sorte de bilan du chemin parcouru, et a été l’occasion de réfléchir à nos engagements futurs.
Depuis sa création, la Chaire Unesco Alimentations du monde s’est donnée comme mission de décloisonner les savoirs sur l’alimentation et de soutenir les différents acteurs du changement pour promouvoir des systèmes alimentaires durables. Elle remplit son mandat de faire dialoguer sciences et société à travers des activités de formation, de recherche-action et de diffusion des savoirs, pour aborder l’ensemble des enjeux (environnementaux, socioculturels, sanitaires, économiques, politiques, etc.) dont l’alimentation est porteuse.
Au fil des années, et des évaluations externes de ses travaux, la Chaire s’est forgée un certain nombre de convictions qui lui sont reconnues, parmi lesquelles :
Cet ouvrage reflète l’approche singulière mise en œuvre par la Chaire depuis dix ans. Il se veut être une source d’inspiration pour les acteurs du changement et fait le lien entre les différentes perspectives de l’alimentation et de ses enjeux contemporains. En effet, tels qu’ils se sont développés, les systèmes alimentaires qui dominent aujourd’hui, le plus souvent qualifiés d’« industrialisés », soulèvent un certain nombre d’enjeux globaux dont les effets traversent nos sociétés : changements climatiques, pertes de biodiversité, épuisement des sols, crises sanitaires, etc. Ces enjeux appellent la transformation des systèmes alimentaires.
Partant, pour penser cette transformation en considérant l’alimentation dans toutes ses dimensions, cet ouvrage tisse « une écologie de l’alimentation », qui permet de mieux répondre aux enjeux de durabilité des systèmes alimentaires. L’analogie que nous faisons entre alimentation et écologie s’ancre dans le double registre de cette dernière : une science des relations (entre les différents éléments de la biosphère) et un engagement politique (l’écologie politique). L’alimentation considérée comme un vecteur de relations et comme un vecteur d’engagements dans la société constitue donc le propos de notre ouvrage.
« Fait social total », l’alimentation, nous l’avons dit, constitue un moyen essentiel (pour ne pas dire fondamental, si nous nous laissions aller à un peu de chauvinisme thématique…) de construction de nos différentes relations dans le monde (partie 1). Nos relations à nous-même d’abord, tant le corps nourri soulève des questions de santé, d’émotions, de plaisirs et de construction de nos identités : de l’affirmation du « soi » par l’alimentation. Nos relations aux autres ensuite (nos compagnons, ou copains) à travers la convivialité (ou non d’ailleurs) des repas partagés, la transmission des règles de table et des savoir-faire culinaires, le métissage des cultures alimentaires, les échanges économiques entre acteurs des systèmes alimentaires, etc. Partager un repas est un moyen de se relier aux autres : manger la même chair noue des relations communes, puisque incorporer l’aliment du collectif c’est, symboliquement, s’incorporer soi-même dans le collectif. Puis nos relations spirituelles aux mondes invisibles, dans lesquels l’alimentation joue un rôle clé à travers des offrandes par exemple. Et, enfin, nos relations à la biosphère, avec les autres vivants non humains, les mondes animal et végétal, mais aussi avec tout l’univers microbien, qui à la fois nous compose (le microbiote intestinal) et joue un rôle dans la transformation et la conservation de nos aliments (la fermentation par exemple).
Nous aborderons ensuite, avec un recul historique sur la longue durée, les grands enjeux des systèmes alimentaires contemporains (partie 2). D’abord à travers une lecture de l’industrialisation de l’agriculture avec le passage d’un métabolisme fondé sur l’énergie solaire à un métabolisme minier (charbon d’abord, pétrole ensuite), avec la mise en place de filières de production de plus en plus spécialisées et le développement des échanges internationaux. Puis en s’intéressant à l’histoire de l’industrialisation de l’offre alimentaire (les industries de transformation agroalimentaire, la mondialisation des échanges, la concentration des acteurs dans les chaînes alimentaires, les enjeux du numérique, etc.) et à l’évolution de nos habitudes alimentaires en lien avec le changement de nos sociétés. Ce recul historique nous permet de comprendre comment nous en sommes arrivés à une situation où les limites des systèmes alimentaires industrialisés apparaissent flagrantes face aux enjeux de durabilité, avec des effets sur l’environnement, la santé, les cultures, les inégalités sociales, etc.
Nous décrivons ensuite notre proposition d’une écologie de l’alimentation (partie 3) qui invite à la fois à relier ensemble les différentes dimensions de l’alimentation, au travers desquelles se tissent les liens du vivant, et à penser des formes d’engagement politique pour le changement vers des systèmes alimentaires durables. Une transformation qui contribue à la santé des individus, à la justice et à la cohésion sociales, et à la coviabilité avec les non-humains. Il s’agit de s’inscrire dans le vivant et de valoriser sa diversité pour développer des formes de coviabilité des systèmes environnementaux et sociaux.
Cette approche multidimensionnelle et politique de l’alimentation nous invite à revisiter un certain nombre de mots d’ordre ou injonctions courants de l’alimentation durable (partie 4) : l’accent mis sur l’augmentation de la production pour nourrir la planète ; la fortification des aliments pour lutter contre les carences en micronutriments ; la transition vers la consommation de protéines végétales plutôt qu’animales ; la lutte contre le gaspillage alimentaire ; l’aide alimentaire ; la promotion du fait maison ; la relocalisation de notre alimentation ; le pouvoir des « consom’acteurs ».
Enfin, cet ouvrage vise à insuffler de l’enthousiasme aux acteurs du changement engagés dans des démarches pour la transformation des systèmes alimentaires (partie 5). Pour ce faire, il analyse le rôle des alternatives déjà existantes. Car le « monde d’après » s’expérimente déjà, il faut le reconnaître et le faire savoir. Se pose alors le défi du changement d’échelle de ces initiatives, ainsi que du rôle que peuvent jouer les acteurs du secteur privé, de la recherche, de la formation et des pouvoirs publics pour stimuler, accompagner et favoriser ces transformations.
Il est important de considérer que cet ouvrage constitue un propos d’étape, et non pas un aboutissement. Comme indiqué en préambule, il capitalise dix années d’échanges, d’interventions, de formations, d’organisation de colloques, de valorisation de projets de recherche, de rédaction de publications, etc., que nous cherchons à relier. Il s’est donc construit au hasard des rencontres, fortuites ou sélectives, qui nous ont inspirées. Cette ouverture à des travaux variés et disparates autour de l’alimentation nous fait évidemment courir le risque de l’incomplétude dans chacune des thématiques explorées. Nous l’assumons. Ce livre ne se veut pas être un ouvrage scientifique, au sens où il ferait avancer un front de recherche disciplinaire. L’idée est d’abord et avant tout de proposer aux lectrices et lecteurs une vision large des enjeux de l’alimentation pour tenter d’en saisir toute la complexité et relier entre elles des problématiques qui sembleraient a priori bien éloignées les unes des autres. Les auteurs que nous avons sollicités pour l’écriture de cet ouvrage et avec qui nous avons co-construit les différents chapitres ont en commun d’être, sur des thématiques variées, des partenaires de réflexion de plus ou moins longue date de la Chaire.
Autre biais assumé : le prisme géographique. Cet ouvrage est rédigé depuis la France, où le rapport à l’alimentation est relativement singulier par rapport à d’autres pays ou régions qui ont d’autres manières d’appréhender le monde à travers leur alimentation. Nous tentons d’y faire référence, mais la perspective globale de l’ouvrage est certainement très européano-centrée. Nous avons bien conscience de cette limite et ne cherchons pas à universaliser nos particularismes.
Notons enfin que cet ouvrage est également publié en ligne sur le site Internet de la Chaire Unesco Alimentations du monde, dans une version « augmentée », c’est-à-dire agrémentée de ressources internes produites ces dix dernières années (publications et vidéos) et de quelques ressources externes qui nous semblent opportunes pour illustrer nos propos. En vous souhaitant une très bonne lecture, à consommer, partager et diffuser, sans modération…