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Les comportements individuels ont des effets sur la durabilité des systèmes alimentaires. Les quantités consommées, la composition du régime alimentaire avec plus ou moins de produits animaux ou de produits transformés, le choix des aliments en fonction de leur mode de production ou encore les pratiques d’approvisionnement, de cuisine ou de gestion des déchets ont une influence sur la santé, l’environnement et l’équité sociale. Les sociétés industrialisées, dans lesquelles l’offre alimentaire s’est accrue et diversifiée au cours du XXe siècle (chapitre 5), ont atteint des niveaux et des styles de consommation qui ne sont pas généralisables à la population mondiale, au risque de dépasser largement toutes les « limites planétaires », dont plusieurs sont déjà franchies (chapitre 7).
Face à ce constat, le 12e Objectif de développement durable des Nations unies, « consommation et production durables », appelle à adopter des modes de consommation en faveur d’un « avenir plus durable » en « faisant plus et mieux avec moins » (Nations unies, 2021). Ce chapitre discute des leviers pour orienter la consommation et les comportements individuels. Il aborde en particulier une idée courante, qui considère que les consommateurs sont un moteur puissant, si ce n’est, pour certains, le principal moteur de ces changements nécessaires.
La souveraineté ou la responsabilité des consommateurs, ou des « consom’acteurs », la consommation citoyenne ou engagée (Dubuisson-Quellier, 2009), le boycott et le buycott (Friedman, 1996) ou encore le consumérisme politique (Micheletti et al., 2004) sont devenus des mots d’ordre pour la transition vers une alimentation durable. On peut y voir une approche néolibérale du changement, qui prône la réduction du champ d’intervention de l’État et défend la liberté individuelle, considérant que chacun est le meilleur juge de son propre bien-être. Ses choix économiques, au travers de la consommation, sont alors censés être efficaces pour satisfaire ses propres intérêts. La souveraineté des consommateurs dans leurs pratiques d’achats renvoie à une forme de démocratie dans laquelle les individus sont libérés des contraintes et des limites de leur appartenance sociale et de classe, intériorisées sous forme d’habitus (Bourdieu, 1979). Dans cette approche, former, sensibiliser et éduquer les consommateurs et les laisser libres de choisir et d’arbitrer, en toute connaissance de cause, est considéré préférable que de confier à l’État le soin de définir ce qui est bon pour la société. Pour les entreprises, les choix des consommateurs constituent des signaux qu’elles captent pour orienter leurs innovations et leur offre. Elles utilisent ainsi les outils du marketing pour repérer « les attentes des consommateurs », puis les mesurer en « consentement à payer » pour de nouveaux attributs. Ce moyen d’agir présente l’avantage d’être peu coûteux pour l’État : il se limite à définir un cadre général et à informer les consommateurs. Il est donc peu contraignant pour les entreprises, qui sont, dans une certaine mesure, libres d’agir « en réponse à la demande ». Cela évite aux États de leur imposer des règles et de devoir ensuite les faire respecter, ce qui comporte toujours le risque qu’elles soient contournées.
Mais l’intérêt d’encourager l’action individuelle est aussi de permettre aux citoyens de s’engager pour le changement, dans un contexte où ils ont perdu la confiance dans l’action politique. Plutôt que de désespérer de l’immobilisme politique, autant commencer à « faire sa part », pour contribuer à un monde plus durable, même très modestement, par un changement de comportement.
Les engagements individuels peuvent prendre plusieurs voies, plus ou moins contraignantes. Le choix des produits en fonction de leur qualité, et notamment de leur mode de production et d’échange, est la plus courante : produits de l’agriculture biologique, sans huile de palme, issus du commerce équitable, affichant une évaluation de la qualité nutritionnelle, d’origine géographique spécifiée, etc. La labellisation des aliments sur diverses dimensions de durabilité s’est considérablement développée et permet aux entreprises de vendre une valeur ajoutée environnementale, sociale ou nutritionnelle. Le prix de ces produits est d’ailleurs souvent plus élevé que celui des produits « conventionnels ». Les choix engagés des consommateurs peuvent aussi porter sur certains types de modes de distribution et d’achat : circuits courts, supermarchés coopératifs, boycott des grandes surfaces, etc. D’autres formes d’engagement peuvent être plus contraignantes. Quand elles se traduisent par une réorganisation de pratiques alimentaires coûteuses en argent, en temps, en déplacements ou en recherche d’information ; et quand elles créent une différenciation par rapport à une norme sociale : achats en vrac, autoproduction alimentaire, végétarisme ou véganisme, maximisation du fait maison (chapitre 16), etc.
Certains engagements individuels ne passent pas par la consommation à proprement parler – c’est-à-dire qu’ils ne se jouent pas dans l’espace marchand – mais par des changements de pratiques domestiques : jardinage pour sa consommation personnelle, recours aux listes de courses pour ajuster les achats au mieux des consommations prévues, cuisine pour la semaine, réduction des quantités consommées, tri des déchets, etc. (Daniel et Sirieix, 2012).
Toutes ces actions individuelles sont autant de tactiques pour faire face aux contraintes, tant du côté de la demande – se débrouiller avec un pouvoir d’achat limité – que de l’offre – faire avec ce qu’on trouve. Elles permettent de s’approprier son alimentation en reprenant prise sur sa consommation. Les échanges de bons plans, de conseils pour « se débrouiller avec ce qu’on a » se multiplient sur les réseaux sociaux. Par exemple, les vidéos « Retours de course » ou les groupes « Gestion budgétaire, entraide et minimalisme » (GBEM), autrement appelés « les Licornes » sur les réseaux sociaux, témoignent de ces inventions du quotidien et de ces braconnages culturels (de Certeau, 1980 ; de Certeau et al., 1994).
Pourtant, l’hypothèse d’un changement du système alimentaire par les seules évolutions des pratiques individuelles rencontre certaines limites. La première concerne l’illusion de l’information parfaite des consommateurs et la reconnaissance de ses limites cognitives. Toutes les consommations alimentaires ne pro-viennent pas d’un choix raisonné des mangeurs. Elles sont en partie guidées par des processus émotionnels, notamment le plaisir (Jacquier et al., 2012). Elles résultent aussi de routines non raisonnées qui peuvent, certes, être remises en cause, mais qui facilitent les comportements d’achat. Elles évitent par exemple d’avoir à choisir, même si les mangeurs savent que ces routines ne sont pas forcément optimales (Dubuisson-Quellier, 2006). Elles peuvent aussi résulter d’addictions. S’il existe encore des controverses sur ce sujet, certains composés alimentaires comme le sucre, le sel, le gras et les produits ultra-transformés sont fortement suspectés de provoquer une accoutumance physiologique et comportementale (Gordon et al., 2018). Dans le même ordre d’idées, la taille des portions constitue une incitation discrète qui détermine les quantités consommées (Wansink, 1996) compte tenu des biais cognitifs qu’elle génère (Chandon et al., 2017).
Une partie des effets de la consommation échappe à la conscience des consommateurs. Par exemple, la présence de pesticides, de résidus médicamenteux ou de microplastiques dans les aliments est invisible. Ou encore, l’impact environnemental de la trajectoire des aliments est encore très peu mesuré et n’est pas signalé aux consommateurs compte tenu de la difficulté de le faire. Les effets sur la santé ou l’environnement de certains produits (OGM par exemple) sont encore incertains. Faut-il pour autant les rendre visibles pour permettre aux consommateurs de choisir en connaissance de cause ? Ou bien faut-il légiférer pour les protéger malgré eux des risques que ces produits font courir par leur consommation ? D’autres effets sont mieux connus mais encore controversés, parfois du fait de campagnes de dénigrement de résultats scientifiques gênants pour certains acteurs : les OGM, les pesticides, l’herbicide glyphosate ou les produits ultra- transformés par exemple. La multiplication de messages contradictoires finit par instiller le doute dans l’esprit des consommateurs et à augmenter leur difficulté à choisir. D’autant qu’ils ne disposent pas forcément des connaissances techniques pour comprendre les enjeux et arbitrer entre ces informations. C’est ce que Claude Fischler (1990) appelle le « brouhaha diététique » et la « cacophonie alimentaire ». Plus largement, la multiplication de l’offre en produits alimentaires, censée augmenter la liberté de choix, génère un effet pervers analysé comme « le paradoxe du choix » : la frustration augmente face à un trop large choix, qui rend difficile la comparaison des différentes possibilités et laisse le consommateur convaincu qu’il n’a sans doute finalement pas trouvé l’optimum (Schwartz, 2005). Aujourd’hui, des applications numériques se multiplient pour accompagner les individus dans leurs arbitrages. Elles proposent une notation des produits sur divers critères de durabilité. Mais ces critères peuvent être controversés et leur choix échappe à un arbitrage par la puissance publique (Soutjis, 2020). Le caractère privé de ces dispositifs techniques pose alors la question de leur légitimité et de leur gouvernance.
Une seconde limite d’un pilotage du changement du système alimentaire par les pratiques individuelles concerne l’effet d’exclusion d’une partie des consommateurs. Parce que les produits durables sont souvent plus chers ou nécessitent plus de connaissances pour être évalués comme tels, ils ne sont réservés qu’à une frange de la population disposant d’un certain capital économique ou culturel. En « votant avec leur porte-monnaie », les consommateurs disposent d’autant plus de pouvoir d’orientation du système alimentaire que leur capital est élevé ; c’est ce qu’on appelle la ploutocratie (du grec ploutos : dieu de la richesse, et kratos : pouvoir). Dans son ouvrage The Sum of Small Things, Elizabeth Currid-Halkett (2017) montre comment cette somme de petites choses discrètes – par exemple, l’achat de légumes bio, de produits du commerce équitable, la cuisine de plats végétariens – pratiquée par les jeunes diplômés de New York et les stars d’Hollywood incarne, plus qu’une position économique, une supériorité morale. Le discours de cette élite et la visibilité de ses pratiques dans les quartiers gentrifiés ou dans les médias mettent en défaut tous ceux qui n’ont pas les moyens de les adopter par manque d’argent, de temps, d’espace et de connaissances sur le sujet. Leur inaccessibilité génère une dissonance cognitive : on sait ce qu’il faudrait faire pour adopter des comportements d’achat vertueux mais on ne peut pas le faire. En résulte soit une frustration ou un sentiment d’injustice, soit un rejet des valeurs portées par les élites. La réalité des problèmes environnementaux, considérés comme des lubies de ces élites, s’en trouve contestée.
Une troisième limite tient à la part restreinte que représente la consommation des ménages dans les impacts environnementaux ou de santé de l’ensemble du système alimentaire. Par exemple, l’adoption d’une consommation frugale dans un pays riche comme la France ne contribue qu’à une partie de l’effort à fournir pour atteindre l’objectif de l’Accord de Paris pour limiter le réchauffement climatique (encadré) et ne doit pas faire oublier les nécessaires économies de ressources des procédés industriels de production.
Une quatrième limite de la responsabilité individuelle est liée aux inégales « facilités » d’accès à l’offre alimentaire. Ces facilités peuvent être physiques : il est plus facile d’acquérir des produits trouvés à proximité que faire l’effort de se déplacer. Les déserts alimentaires (food deserts) (Cummins et Macintyre, 1999) désignent des quartiers pauvres démunis de commerces de proximité vendant des aliments sains, et les « bourbiers alimentaires » (food swamps) des quartiers où se concentrent des commerces vendant des aliments malsains du point de vue nutritionnel. Ces deux environnements alimentaires, et surtout le second, sont suspectés de constituer un facteur de surconsommation de produits gras, sucrés et salés, défavorable pour une nutrition équilibrée (Cooksey-Stowers et al., 2017). Les facilités d’accès sont aussi économiques, le prix n’étant alors pas considéré comme le résultat d’un équilibre entre une offre et une demande, indépendantes l’une de l’autre, mais bien comme un facteur d’orientation de la demande. Choisir une option souhaitable, mais qui demande un important effort cognitif, physique ou économique, et qui n’apporte qu’une satisfaction morale limitée parce que non observable (ce qui est le cas des bénéfices environnementaux ou de santé à long terme), sature rapidement la motivation. C’est ce qui peut expliquer que la préoccupation d’équité dans le commerce ou de respect de l’environnement soit satisfaite avec seulement quelques produits : le café dans le premier cas, ou une consommation intermittente dans le second cas (Lamine, 2008).
Simulation de l’impact carbone d’une consommation alimentaire frugale
L’Agence française de la transition écologique (Ademe) fournit un calculateur permettant de simuler l’effet de changements de consommation sur leur impact carbone. Pour rappel, l’empreinte carbone de la consommation des Français est d’environ 9,8 tonnes CO2e" class="/pers/an (dont 2,8 tonnes pour l’alimentation, 2,8 tonnes pour le transport et 2,1 tonnes pour le logement). L’objectif à atteindre pour rester dans la limite d’un réchauffement inférieur à 2 °C en 2100 est de parvenir à une empreinte d’environ 2 tonnes de CO2e/pers/an, soit une réduction d’environ 8 tonnes. Le tableau suivant montre les effets d’un changement de régime et de pratiques alimentaires sur le bilan carbone.L’adoption d’un régime alimentaire que l’on peut qualifier de frugal permet de diviser par plus de deux l’empreinte carbone de l’alimentation, autrement dit de la réduire d’environ 1,2 tonne CO2e/pers/an, soit 15 % de la réduction de l’empreinte nécessaire pour rester sous un réchauffement maximal de 2 °C. En ajoutant une nette réduction du transport en voiture (remplir sa voiture avec 2 personnes en moyenne, contre 1,2 actuellement, réduire ses déplacements de 10 000 à 2 000 km/an), on économise encore 1,1 tonne/pers/an, et en abaissant la température hivernale de son logement de 1 °C, on économise 0,2 t/pers/an, soit 3,7 tonnes au total. Si d’autres économies, plus marginales, peuvent être faites, cette simple simulation montre qu’un effort significatif de réduction de l’empreinte carbone de la consommation des ménages dépasse difficilement une économie de 4 t/pers/an CO2e, soit la moitié de l’effort à fournir. L’autre moitié ne peut être gagnée qu’en améliorant la performance environnementale des procédés de production agricole, industrielle et des services.
Ces données de consommation moyenne ne doivent pas cacher de grandes différences d’émissions selon les niveaux de vie des ménages. Si on observe peu de différences d’empreinte carbone de l’alimentation selon le niveau de revenus, celles-ci sont importantes en matière de transport ou de logement : l’empreinte carbone de deux allers et retours par an en avion vers une destination à 2 000 km est estimée à 1,2 tonne ; la possession d’un SUV par rapport à une voiture moyenne augmente de 1,2 tonne l’empreinte carbone des déplacements. C’est ainsi que Kartha et al. (2020) estiment que 10 % des ménages les plus riches du monde, soit 630 millions de personnes, émettent 52 % des gaz à effet de serre, alors que 50 % des plus pauvres n’en émettent que 7 %.
" class="CO2e pour « CO2 équivalent » : mesure utilisée pour comparer les émissions de divers gaz à effet de serre en fonction de leur potentiel de réchauffement.
Enfin, une dernière limite à la responsabilité individuelle concerne la conformité aux normes sociales. Consommer ne vise pas seulement à satisfaire un besoin individuel, mais aussi à manifester son appartenance à un groupe social ou, au prix d’un risque de marginalisation, sa singularité (chapitre 1). Le végétarisme ou le véganisme sont un exemple de pratiques en cours de reconnaissance d’une normalité, mais qui restent encore, dans certaines cultures, difficiles à assumer dans des situations où compte la conformité aux normes (repas de famille, banquets par exemple). Se conformer à ce que font les autres autour de soi, et donc ne pas s’encombrer à faire des choix, est aussi un moyen de réduire sa charge mentale.
Deux champs disciplinaires ont vu converger ces dernières années de nouveaux cadres d’analyse des déterminants des comportements individuels qui remettent en cause le modèle économique standard d’une maximisation de l’utilité. À partir d’une nouvelle approche de la santé, officialisée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avec la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé (OMS, 1986), la reconnaissance du rôle des environnements alimentaires (food environment) sur les comportements alimentaires a émergé dans le domaine de la nutrition. Sont classiquement distingués les environnements sociaux, qui définissent des modèles comportementaux et des normes sociales, les environnements physiques sur les lieux de vie, qui déterminent des conditions d’accès à des aliments, et des macro- environnements constitués des politiques, législations, stratégies et pratiques des acteurs de l’offre alimentaire. Ce modèle de représentation a été reconnu récemment, notamment par le Panel d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (HLPE) au travers de son rapport sur « Nutrition et systèmes alimentaires » (HLPE, 2017).
En psychosociologie, plusieurs décennies de recherche, notamment synthétisées par Saadi Lahlou (2018) dans sa théorie des installations, conduisent à un modèle similaire. Celui-ci appréhende la liberté des choix individuels comme étant encadrée par trois types d’« installations », de nature mentale, physique et sociale (figure 18.1).
Avec de tels modèles, l’éducation, l’information et la sensibilisation des consommateurs apparaissent certes nécessaires, mais insuffisants pour modifier les comportements. L’exemple de la pratique du vélo illustre bien cette idée : il ne suffit pas d’expliquer aux individus que le vélo est bon pour la santé et l’environnement (installation mentale) pour qu’ils utilisent ce mode de déplacement. Presque tous en sont déjà probablement convaincus. Il faut aménager des pistes cyclables ou des parcs à vélo sécurisés (installations physiques), et se déplacer en vélo doit devenir la norme sociale et la voiture l’exception si ce n’est l’anomalie (installation sociale).
La responsabilité du changement de pratiques individuelles n’est donc plus seulement celle des individus mais doit être partagée avec les acteurs qui organisent l’offre alimentaire. Les politiques publiques, qui réglementent la qualité des aliments ou incitent les entreprises à l’améliorer, jouent sur les prix pour encourager ou décourager la consommation de certains produits, régulent la publicité, luttent contre des déserts ou des bourbiers alimentaires. Ils restent donc indispensables dans la conduite des comportements individuels. On peut aussi s’interroger sur les risques du développement d’outils numériques pilotés par les multinationales du big data pour « conduire les conduites », pour reprendre l’expression de Michel Foucault, autrement dit pour organiser une autodiscipline des individus non plus par la « contrainte extérieure et correctrice s’exerçant sur les corps, mais une volonté intériorisée par voie de suggestion, de prévention et de manipulation » (Le Texier, 2011).
La somme de comportements individuels suffit-elle à faire changer le système ? L’exemple du boycott des produits Nestlé à la fin des années 1970 pour protester contre la promotion du lait maternisé en biberon remplaçant l’allaitement maternel (Sasson, 2016) est intéressant : il a été organisé et relayé par un mouvement politique qui a pesé dans les rapports de force et conduit à l’adoption du Code international de commercialisation des substituts de lait maternel. Cet exemple pose la question du risque de dépolitisation de l’engagement individuel si celui-ci n’est pas relayé politiquement (Michel et al., 2020).
« Voter avec son porte-monnaie », et envoyer ainsi un signal aux entreprises et aux politiques, n’est pas le seul moyen de manifester les préoccupations des citoyens. Car finalement, une telle forme d’engagement ne fonctionne qu’en réaction aux propositions des offreurs, par une adhésion ou un refus, mais en aucun cas par une négociation permettant de coconstruire des positions. Ne faut-il pas repenser la gouvernance des systèmes alimentaires pour permettre aux citoyens de participer à la définition de l’alimentation qu’ils souhaitent ? Cela peut se faire au travers d’espaces comme les conventions citoyennes, les maisons solidaires de l’alimentation ou encore des dispositifs de conventionnement des produits d’une sécurité sociale de l’alimentation à imaginer. Des espaces où s’élaborent, par la discussion, des propositions citoyennes négociées avec des acteurs publics et privés, pour orienter l’offre alimentaire, construire des paysages alimentaires, définir des politiques de solidarité et des chemins de transition vers des systèmes durables (partie 5).